CONCLUSIONS DE SYNTHÈSE
CONCLUSIONS DE SYNTHÈSE
POUR : | La RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE, représentée par son Gouvernement, poursuites et diligences de Monsieur Xxxxx Xxxxx, Ministre du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé de la Transition climatique, de l'Environnement, de l'Energie et de la Démocratie participative, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxxxx, xxxxxxxxx Xxxxx-Xxxxxx, 00 (11° étage) ; Partie défenderesse ; ayant pour conseils Xxxx-Xxxxx Xxxxxxx (xxx@xxxxxx.xx ; tel. 0485/47.82.88) et Xxxxxxxxx Xxxxxx, avocats, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxxxx, chaussée de Xx Xxxxx, 000, où il est fait élection de domicile pour les besoins de la présente procédure ; |
CONTRE : | L’association sans but lucratif KLIMAATZAAK, inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises sous le n°0424.496.447, dont le siège social est établi à 0000 Xxxxxxxxxx, rue de Fiennes, 77 ; et toutes les personnes mentionnées en annexe de la citation ; Parties demanderesses ; ayant pour conseils Xxxx Xxxxxx, Xxxxxx X. Xxxxxxx, Xxx Xxxxx et Xxxxxx Xxxxxxx, avocats, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxx, place Xxxxxx, 18 (5° étage) et Xxxxx X.X. Xxx, avocat, dont le cabinet est établi à 6212 AD Maastricht (Pays-Bas), Xxxx Xxxxxxxxxxx, 00X. |
EN PRÉSENCE DE : |
1. L’ETAT BELGE, représenté par son Gouvernement, poursuites et diligences de sa Ministre de l’Energie, de l’Environnement et du Développement durable, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxxxx, avenue de la Toison d’Or, 87, Partie défenderesse ; ayant pour conseils Xxxxxxxx Xxx Xxxxx et Xxxxxxx xx Xxxxxxxx, avocats, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxx, place des Nations- Unies, 7. 2. La RÉGION FLAMANDE, représentée par son Gouvernement, poursuites et diligences de Monsieur Xxxx Xxx xxx Xxxxxx, Ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire, de la Nature et de l’Agriculture, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxxxx, boulevard du Roi Xxxxxx XX, 20/1 ; Partie défenderesse ; ayant pour conseils Xxxxx Xxxxx, avocat, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxxx, Beneluxpark, 7B et Xxxxxx Xxxxxxxx, avocat, dont le cabinet est établi à 8820 Torhout, Oostendestraat, 306. 3. La REGION WALLONNE, représentée par son Gouvernement, poursuites et diligences de Monsieur Xxxxxxxx Xxxxx, Ministre du Climat, de l’Energie et de la Mobilité, dont les bureaux sont établis à 0000 Xxxxx, rue d’Harscamp, 22 ; Partie défenderesse ; ayant pour conseil Xxxxxx Xxxxxxxx, avocat, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxxxx, avenue de Tervuren, 34/27. |
AVEC L’INTERVENTION DE : |
1. L’Aulne à feuille cordée et 81 autres arbres mentionnés dans la requête en intervention ; Premières parties intervenantes ; Ayant pour conseils Xxxxxxxx Xxxxxxxxx, avocat, dont le cabinet est établi à 1750 Lennik, Dorp 12, bte 2 et Madame Xxxxxx Xxxxxxxx, avocat, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxx, Voskenslaan, 301 ; |
2. Madame Xxxx Xx Xxxxxxx, domiciliée à 9300 Alost, Xxxxxxxxxxxxxxx, 00, ainsi que l’ensemble des personnes mentionnées en Annexe B de la requête en intervention ;
Secondes parties intervenantes ;
ayant pour conseils Xxxx Xxxxxx, Xxxxxx X. Xxxxxxx, Xxx Xxxxx et Xxxxxx Xxxxxxx, avocats, dont le cabinet est établi à 0000 Xxxxxxx, place Xxxxxx, 18 (5° étage) et Xxxxx X.X. Xxx, avocat, dont le cabinet est établi à 6212 AD Maastricht (Pays-Bas), Xxxx Xxxxxxxxxxx, 00X.
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE FRANCOPHONE DE BRUXELLES 4ÈME CHAMBRE
R.G. n° 15/4585/A
Vu la citation introductive d’instance signifiée le 1er juin 2015 ; Vu l’audience d’introduction du 11 juin 2015 ;
Vu le jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 25 septembre 2015 ;
Vu le jugement de l’assemblée réunie du tribunal d’arrondissement francophone et néerlandophone de Bruxelles du 8 février 2016 ;
Vu l’arrêt C.16.0185.F de la Cour de cassation, intervenu le 20 avril 2018 ;
Vu la requête commune de fixation des délais de conclusions et de fixation d’audiences de plaidoiries fondée sur l’article 747 du Code judiciaire du 17 septembre 2018 ;
Vu l’ordonnance fixant le calendrier de mise en état du 11 janvier 2019 ;
Vu les conclusions principales de la Région de Bruxelles-Capitale du 1 février 2019 ; Vu les conclusions principales de l’Etat belge du 1er février 2019 ;
Vu les conclusions principales de la Région wallonne du 31 janvier 2019 ;
Vu les conclusions principales de la Région flamande du 1er février 2019 ;Vu la requête en intervention volontaire des premières parties intervenantes du 3 mai 2019 ;
Vu la requête en intervention volontaire de la seconde partie intervenante du 3 juillet 2019 ; Vu les conclusions principales des parties demanderesses du 28 juin 2019 ;
Vu les conclusions additionnelles de l’Etat belge du 27 septembre 2019 ;
Vu les conclusions additionnelles de la Région wallonne du 30 septembre 2019 ; Vu les conclusions additionnelles de la Région flamande du 1er octobre 2019 ;
Vu les conclusions additionnelles de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er octobre 2019 ; Vu les conclusions de synthèse des parties demanderesses du 16 décembre 2019 ;
Vu le courrier des parties demanderesses adressé au greffe de Votre Tribunal le 14 février 2020, relatif au dépôt d’une nouvelle pièce ;
Vu le courrier du conseil de la Région de Bruxelles-Capitale adressé au greffe de Votre Tribunal le 19 février 2020 informant de ce que, « suite à la communication d’une nouvelle pièce par les parties demanderesses ce 14 février 2020 », « eu égard à l’imminence du délai convenu pour [le] dépôt de conclusions de synthèse par les parties défenderesses, les parties se sont mises d’accord pour un report de ce délai au 16 mars 2020 ».
Table des matières
2. CIRCONSTANCES DE LA CAUSE 9
3.1 L’intérêt : jurisprudence et doctrine 10
3.2 Intérêt des demandeurs personnes physiques 11
3.3 Intérêt de l’ASBL Klimaatzaak 13
3.4 Recevabilité des premières parties intervenantes 17
3.5 Recevabilité des secondes parties intervenantes 18
4. CADRE LÉGAL ET RÉGLEMENTAIRE 19
A. Répartition de compétences 23
B. Mécanismes de coopération 25
C. Droit régional bruxellois 29
5. EVOLUTION DES ÉMISSIONS DE GES EN RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE33 5.1 Emissions totales – aperçu 33
5.2 Répartition par type de GES et par secteurs 34
5.3 Évolution des émissions de GES en Région de Bruxelles-Capitale 36
6. LES DEMANDES DES PARTIES DEMANDERESSES 41
6.1 Compétence du tribunal – déclinatoire de juridiction 45
A. Les demandes imposent l’adoption d’un accord de coopération 45
B. Les demandes ne respectent pas le principe de la séparation des pouvoirs48
(i) Injonctions au pouvoir législatif 48
(ii) Dispositions et principes invoqués par les parties demanderesses 50
7.1 Prétentions des parties demanderesses 54
A. Faute du législateur bruxellois 55
7.3 Premier moyen : violation des articles 1382 et 1383 du Code civil 62
(ii) Responsabilité du législateur – principes 62
(III) VIOLATION DU DEVOIR GÉNÉRAL DE XXXXXXXX – L’ERREUR DE CONDUITE 68
7.4 Second moyen : violation des articles 2 et 8 de la CEDH et des articles
C. Obligations positives et effet direct 87
D. Approche « contextualisée » de l’effet direct 90
E. Jurisprudence de la Cour de cassation 94
F. Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 95
G. AFFAIRE URGENDA ET ARRÊT DU HOGE RAAD NÉERLANDAIS DU 20 DÉCEMBRE 201998
H. La Région de Bruxelles-Capitale n’a pas violé de droits fondamentaux dans sa lutte contre le changement climatique 101
I. Conclusion 103
7.5 En tout état de cause : la Région de Bruxelles-Capitale a adopté les mesures appropriées 104
A. À titre préliminaire : la situation particulière de la Région de Bruxelles- Capitale 105
B. XX XXXX 0000-0000 107
C. Le Plan Air-Climat-Energie 108
D. Sources d’énergie renouvelables 109
E. Organisation du marché de l’électricité 110
F. Certificats verts 110
G. Primes énergies 111
H. Prêt vert bruxellois 111
I. SolarClick et NRClick 112
J. Carte solaire 112
K. Performance énergétique des bâtiments 112
(i) Travaux PEB 113
(ii) Certification PEB 114
(iii) Installations techniques PEB 114
L. PLAGE 115
M. Audit énergétique 115
N. Transports 115
O. Conclusion 116
INVENTAIRE DES PIÈCES 118
1. REMARQUE PRÉLIMINAIRE
1. La Région de Bruxelles-Capitale a, depuis de nombreuses années, pris conscience de la réalité et des risques liés aux changements climatiques et a adopté, depuis la fin des années nonante, un grand nombre de mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre (ci-après
« GES ») dues aux activités exercées sur son territoire.
À ce titre, elle n’entend nullement contester le bien-fondé des arguments soulevés par les parties demanderesses – mais également, dernièrement, par les nombreux manifestants pour le climat
– quant à la démonstration de l’urgence que créent les risques liés aux changements climatiques, comme en témoignent les importants moyens déployés pour porter les réductions d’émissions de GES à leur niveau maximal en Région de Bruxelles-Capitale.
2. Pour autant, la Région de Bruxelles-Capitale ne souscrit pas à la démarche des parties demanderesses consistant à saisir le tribunal de première instance en vue de la voir condamner en raison d’une prétendue insuffisance de mesures, d’une part et comme il est développé ci- après, compte tenu de l’action effective qu’elle a mené, mène et continuera à mener sur ce terrain et, d’autre part, pour des motifs tenant à l’absence de fondement juridique d’une telle action au regard du droit applicable.
3. Enfin, la complexité du débat climatique au sein de la Belgique fédérale est telle que la Région de Bruxelles-Capitale n’aperçoit pas en quoi les demandes formulées seraient susceptibles de favoriser la conclusion d’accords entre l’Etat belge et les entités fédérées.
2. CIRCONSTANCES DE LA CAUSE
4. Par une citation signifiée le 1er juin 0000, Xxxxxxxxxxx a lancé, devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, une procédure à l’encontre de l’Etat belge et des Régions flamande, wallonne et de Bruxelles-Capitale, tendant en substance à obtenir leur condamnation à faire diminuer le volume d’émissions de CO2 sur leurs territoires.
In limine litis, la Région flamande a sollicité le renvoi de la cause devant le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.
5. Par un jugement du 25 septembre 2015, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rejeté la demande de la Région flamande.
6. Par une requête du 23 octobre 2015, la Région flamande a saisi le tribunal d’arrondissement de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
7. Par jugement du 8 février 2016, le tribunal d’arrondissement francophone et néerlandophone de Bruxelles, siégeant en assemblée réunie, a déclaré l’appel non fondé.
8. Par arrêt du 20 avril 2018, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi introduit par la Région flamande contre le jugement du tribunal d’arrondissement.
9. Par requête commune du 17 septembre 2018, les parties ont sollicité la fixation de délais de conclusions et de fixation d’audiences de plaidoiries fondée sur l’article 747 du Code judiciaire. Le calendrier de mise en état est fixé comme suit :
− conclusions principales pour les parties défenderesses : 1er février 2019 ;
− conclusions principales pour les parties demanderesses : 1er juillet 2019 ;
− conclusions additionnelles pour les parties défenderesses : 1er octobre 2019 ;
− conclusions additionnelles et de synthèse pour les parties demanderesses : 16 décembre 2019 ;
− ultimes répliques pour les parties défenderesses : 2 mars 2020. Ce délai a été reporté au 16 mars 2020.
10. Par requête du 3 mai 2019, les premières parties intervenantes déposent une requête en intervention volontaire.
11. Par requête du 3 juillet 2019, les premières parties intervenantes déposent une requête en intervention volontaire.
3. RECEVABILITÉ
3.1 L’INTÉRÊT : JURISPRUDENCE ET DOCTRINE
12. L’intérêt exigé pour agir en justice consiste en tout avantage matériel ou moral effectif et non théorique, que le demandeur peut retirer de la demande au moment où il la forme (1).
13. L’intérêt doit être concret, ce qui veut dire que l’avantage recherché doit être effectif et non théorique. Le droit que le juge dit et applique doit avoir une incidence concrète sur la situation des parties (2).
En outre, la demande formée par une personne physique ou morale ne peut être admise si le demandeur n’a pas un intérêt direct et personnel, c’est-à-dire un intérêt propre (3). Le résultat de l’action doit dès lors profiter au demandeur lui-même et plus particulièrement à son patrimoine, son honneur ou sa réputation (4).
En vertu de l’article 18 du Code judiciaire, l’intérêt doit également être né et actuel, c’est-à-dire qu’au jour où il exerce son action, le demandeur doit pouvoir tirer un avantage de la prétention qu’il a émise, dans le cas où elle serait déclarée fondée (5). L’intérêt est né et actuel lorsque le droit subjectif a été violé, même si toutes les conséquences dommageables ne sont pas encore réalisées, pour autant que l’existence de ces conséquences soit certaine (6).
14. L’alinéa 2 de l’article 18 du Code judiciaire prévoit que « l’action peut être admise lorsqu’elle a été intentée même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d’un droit gravement menacé ». Ce texte prévoit deux exceptions à l’exigence d’actualité de l’intérêt : l’action déclaratoire et l’action ad futurum.
L’action préventive ou ad futurum est l’action qui tend à conjurer par des mesures immédiates, un péril ou un dommage qui pourrait se réaliser dans l’avenir. Le recours à la justice à titre préventif n’est autorisé qu’à la double condition que (7) :
− le demandeur établisse l’existence d’une menace grave et sérieuse au point de créer un trouble précis ; il faut en d’autres termes que le droit ou l’exercice du droit apparaisse sérieusement contesté ou menacé, qu’il y ait une prétention immédiate et actuelle faisant présager ou annonçant d’une manière suffisamment probable et sérieuse la mise en péril d’un droit ou la réalisation d’un dommage (8) ; et
1 X. XX XXXXX ET B. XXXXXX, « L’action en justice – la demande et la défense », in Droit judiciaire, Tome 2, Manuel de procédure civile, 2015, p. 80.
2 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 82.
3 Cass., 4 avril 2005, Pas., I, p. 757 ; Cass., 4 février 2008, Pas., I, p. 320, Cass., 23 février 2012, Pas., I, p. 431.
4 Cass., 19 septembre 1996, Pas., I, p. 830.
5 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 91.
6 H. REGHIF, « L’intérêt », in Commentaire pratique de droit judiciaire, 2018, p. 5.
7 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 92.
8 Xxxxx, 00 juillet 2004, J.T., 1996, p. 27.
− la décision préventive doit avoir une utilité concrète, clarifier la situation, mettre un terme à la menace qui a justifié l’action (9).
A cet égard, les parties demanderesses ne démontrent toujours pas le trouble précis, direct et personnel dont elles se prévalent, pas plus qu’elles ne démontrent l’utilité concrète de leur action, sa nécessité pour clarifier une situation connue de tous ou encore sa capacité à mettre un terme à la menace qui justifie l’action.
3.2 INTÉRÊT DES DEMANDEURS PERSONNES PHYSIQUES
15. Selon les parties demanderesses, les requérants personnes physiques disposent de l’intérêt requis pour introduire la présente action « au vu du dommage auquel ils sont exposés et qu’ils vont subir de manière progressivement plus grave si les parties défenderesses restent en défaut de faire leur part pour prévenir le dépassement du seuil d’un réchauffement climatique dangereux » (point 388 des conclusions de synthèse des parties demanderesses). Ils seraient exposés à un dommage matériel (comme un dommage résultant de tempêtes ou d’inondations) et à une atteinte à leur santé et à leur bien-être (propagation de nouvelles maladies tropicales, impact sur la santé de la pollution atmosphérique, vagues de chaleur, stress psychique et émotionnel). Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses font particulièrement état de menaces sur la santé et de l’impact financier (fiscal).
16. Chaque requérant personne physique ne démontre toutefois pas in concreto son intérêt personnel et direct à la présente action au moment où celle-ci a été introduite. Au contraire, telle que formulée dans la citation, la demande vise la préservation de l’intérêt général.
Or, conformément à la jurisprudence Eikendael de la Cour de cassation du 19 novembre 1982,
« la demande formée par une personne physique ou morale ne peut être admise si le demandeur n’a pas un intérêt personnel et direct, c’est-à-dire un intérêt propre ; que dans ce sens l’intérêt général ne constitue pas un "intérêt propre" » (10). Si cette jurisprudence a été modifiée par l’arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2013 en ce qui concerne les personnes morales, compte tenu de la Convention d’Aarhus (11), elle demeure toutefois applicable aux personnes physiques. La jurisprudence exige qu’une action soit de nature à avoir une incidence directe sur la situation d’un demandeur qui doit avoir, de ce fait, un intérêt personnel distinct de celui de la généralité des citoyens (12). La jurisprudence en la matière « repose donc en partie sur le droit qu’aurait chacun de prémunir son environnement immédiat contre des nuisances » (13).
Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses n’individualisent pas les dommages qu’elles prétendent subir (notamment l’impact sur la santé ou l’impact financier
9 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 92.
10 Cass., 19 novembre 1982, Pas., 1983, I, p. 338, (nous soulignons).
11 Cass., 11 juin 2013, P.12.1389.N.
12 Voy. par ex. réf. Xxxxxxxx, 00 novembre 1988, n° 10.488, cité par X. XXXXXX, « L’environnement, son défenseur et le juge civil », Amén., 1990, p. 47.
13 X. XXXXXX, op. cit.
(fiscal)). En tout état de cause, ces dommages ne se distinguent pas de l’intérêt général ou du dommage qui serait subi par toute personne, d’une manière générale.
17. Les parties demanderesses soutiennent que les articles 17 et 18 du Code judiciaire leur offriraient un droit d’action dans la mesure où ces articles devraient être interprétés conformément aux dispositions de la Convention d’Aarhus.
L’article 9 de la Convention d’Aarhus contient les dispositions du troisième « pilier » de cette convention, relatif à l’accès à la justice. La Convention d’Aarhus établit une distinction entre trois catégories de décisions, d’actes ou omissions à l’égard desquels un accès à la justice doit être garanti :
− le refus des demandes d’informations sur l’environnement par les autorités publiques ou le traitement inadéquat de ces demandes par les autorités (article 9.1) ;
− les décisions actes et omissions d’autorités publiques concernant les permis, les procédures d’autorisation et le processus décisionnel relatif à des activités particulières (article 9.2) ;
− tous les autres types d’actes et d’omissions de personnes privées et d’autorités publiques
« allant à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement » (article 9.3).
En l’espèce, les parties demanderesses se fondent manifestement sur la troisième catégorie pour fonder leur action. Or, cette catégorie exige expressément que soit pointée la ou les disposition(s) du « droit national de l’environnement » qui serait violée(s), ce que s’abstiennent de faire les parties demanderesses.
En effet, les parties demanderesses fondent leur action sur la responsabilité civile extracontractuelle de la Région de Bruxelles-Capitale (articles 1382 et 1383 du Code civil) et sur la violation de droits fondamentaux issus de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention relative aux droits de l’enfant qui ne relèvent pas d’un « droit national de l’environnement ». De plus, les parties demanderesses ne critiquent pas une ou plusieurs mesures spécifiques prises par la Région de Bruxelles-Capitale mais uniquement, d’une manière générale, l’absence de mesures « adéquates, nécessaires et suffisantes », de telle sorte qu’il n’est pas question en l’espèce d’une violation du droit belge sur l’environnement.
Selon le Guide d’application de la Convention d’Arhus édité par l’Organisation des Nations Unies (organisation dont dépend la Convention), il faut « qu’une allégation soit faite par un membre du public selon laquelle il y a violation du droit interne en matière d’environnement par quelque acte ou omission » (14) et que la disposition interne violée « se rapporte d’une
14 Voy. xxxx://xxx.xxxxx.xxx/xxxxxxxxx/XXX/xxx/xx/Xxxxxxxxxxxx/Xxxxxx_Xxxxxxxxxxxxxx_Xxxxx_XXX_xxxxxxxxxxx.xxx , 2004, p. 197.
manière ou d’une autre à l’environnement » (15). Le Guide d’application cite ainsi des mesures relatives à l’urbanisme, aux taxes environnementales, au contrôle des produits chimiques ou des déchets, et des exemples d’application sur les lois belges ou bulgares relatives à l’aménagement du territoire.
En l’absence de démonstration, par les parties demanderesses, de la violation d’une ou plusieurs dispositions relevant du droit interne belge de l’environnement par la Région de Bruxelles- Capitale, la Convention d’Aarhus ne trouve pas à s’appliquer dans le cadre de leur action.
18. En outre, tous les requérants personnes physiques ne sont pas domiciliés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Ces derniers ne peuvent dès lors prétendre à un intérêt direct et personnel spécifique à voir la Région de Bruxelles-Capitale se faire condamner à légiférer contre le réchauffement climatique. La recevabilité de telles actions s’apparenterait à autoriser toute personne, où qu’elle réside, à introduire une action contre toute autorité publique, où que cette dernière exerce sa juridiction.
19. L’action préventive constitue une exception à l’actualité de l’intérêt. Cependant, les parties demanderesses doivent établir l’existence d’une menace grave et sérieuse au point de créer un trouble précis et la décision préventive doit mettre un terme à cette menace.
En l’espèce, les demandes introduites par les parties demanderesses ne mettraient pas un terme à cette menace. En effet, le réchauffement climatique est un phénomène mondial qui requiert des réponses globales et les mesures prises par la Belgique – et singulièrement la Région de Bruxelles-Capitale – ne suffiraient pas à mettre un terme aux menaces que les parties demanderesses exposent dans leur citation.
3.3 INTÉRÊT DE L’ASBL KLIMAATZAAK
20. Pour rappel, devant Votre Tribunal, « l’intérêt propre d’une personne morale ne comprend que ce qui concerne l’existence de la personne morale, ses biens patrimoniaux et ses droits moraux, spécialement son patrimoine, son honneur et sa réputation » et « le seul fait qu’une personne morale ou une personne physique poursuit un but, fût-il statutaire, n’entraine pas la naissance d’un intérêt propre » (16).
En outre, une personne morale n’a pas en principe (17) d’action pour obtenir la réparation du préjudice causé à ses membres ou affectant le but pour la défense duquel elle a été instituée (18).
« Soit l’intérêt allégué se confond avec l’intérêt général (faire respecter la légalité), en ce cas le droit n’admet pas tant au contentieux subjectif qu’au contentieux objectif l’action collective ou populaire et réserve l’action publique et civile au ministère public (…), soit l’intérêt allégué
15 Idem.
16 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 83.
17 Sauf les droits d’action reconnus par le législateur fédéral lui-même, non invoqués en l’espèce.
18 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 84.
se confond avec l’intérêt particulier des membres de l’association et (…) il leur appartient de se défendre individuellement » (19).
21. Selon l’article 3 de ses statuts, l’objet statutaire de l’ASBL Klimaatzaak est le suivant :
« L’association a pour objet de protéger les générations actuelles et futures contre le changement climatique et la réduction de la biodiversité causés par l’homme. L’association veut atteindre ce but en obtenant le soutien de la population et des autorités. L’association peut réaliser cet objet entre autres à l’aide des moyens (non limitatifs) suivants :
1° Mener des actions en justice, tant en Belgique que le cas échant à l’étranger, dans le but de lutter contre le changement climatique et/ou de pallier à ses effets.
2° Encourager la politique ou les actions visant une participation à part entière des citoyens ou des associations environnementales, ainsi que les actions visant un accès adéquat à la justice pour ceux-ci, tant en Belgique qu’à l’étranger ;
3° Mener d’autres actions, judiciaires ou non, en lien avec des dossiers spécifiques ou généraux en matière de climat, d’environnement, de préservation de la nature ou de biodiversité. »
L’action introduite par l’ASBL Klimaatzaak ne concerne pas directement son existence ou ses biens patrimoniaux. Par ailleurs, l’intérêt dont elle se prévaut se confond avec l’intérêt général ou l’intérêt particulier des membres de l’association ou des codemandeurs personnes physiques, de telle sorte que cette personne morale ne dispose pas d’un intérêt propre à la présente action.
Selon la Cour constitutionnelle, les différentes restrictions posées par le Code judiciaire en ce qui concerne l’intérêt à agir visent à ne pas permettre l’action populaire (20), définie comme les
« cas où des personnes introduisent une action dans le but d’assurer le respect de la loi dans l’intérêt général. Cette action tend donc à la réparation d’un préjudice général subi par l’ensemble de la société ou des citoyens » (21), ce qui est manifestement le cas en l’espèce dans le chef de l’ASBL Klimaatzaak.
22. L’ASBL Klimaatzaak invoque, à l’appui de sa recevabilité, l’arrêt Milieusteunpunt Huldenberg du 11 juin 2013 de la Cour de cassation. Selon elle, « depuis le 13 juin 2013, la Cour de cassation applique avec beaucoup de souplesse l’accès au Juge pour les associations œuvrant pour la protection de l’environnement, requise par la Convention d’Aarhus » (point 345 des conclusions de synthèse des parties demanderesses).
19 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 84 et 85.
20 C.Const., arrêt n°133/2013 du 10 octobre 2013.
21 X. XXX XXXXXXXXXX, « Une class action en droit belge ? Et le droit des obligations ? » in Liber Amicorum Xxxxxxxx Xxxxxxxxxx et Xxxxxx Xxxxxx, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 429.
L’ASBL Klimaatzaak procède à une lecture « hors contexte » de l’arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2013, en isolant deux conditions cumulatives qui fonderaient sa recevabilité : (i) un objet social lié à la protection de l’environnement et (ii) « que l’objet de la demande civile soit en relation avec cet objet social ».
Or, dans l’arrêt en cause, la Cour de cassation énonce ceci : « Si une telle action est introduite par une personne morale qui, en vertu de ses statuts, a pour objectif la protection de l'environnement et vise à contester les agissements et négligences de personnes privées et instances publiques juges contraires aux dispositions du droit de l'environnement national, cette personne morale satisfait à cette condition de recevabilité relative à l'intérêt pour introduire une action en justice ».
Les deux conditions sont donc (i) un objet social visant la protection de l’environnement et (ii) une demande qui « vise à contester les agissements et négligences de personnes privées et instances publiques juges contraires aux dispositions du droit de l'environnement national ».
Ainsi, dans son arrêt du 11 juin 2013, la Cour de cassation fait une simple application du troisième pilier de la Convention d’Aarhus, rappelé ci-dessus, et singulièrement de la troisième catégorie de décisions (atteinte au droit national de l’environnement). La Cour de cassation souligne ainsi que « Il résulte [des articles 3.4, 9.3 et 2.4 de la Convention d’Aarhus] que la Belgique s'est engagée à garantir aux associations qui ont pour objectif la protection de l'environnement l'accès à la justice dans le cas où elles désirent contester les agissements contraires aux dispositions du droit de l'environnement national et les négligences de personnes privées et d'instances publiques, pour autant qu'elles satisfassent aux critères établis par le droit national. Ces critères ne peuvent être décrits ou interprétés en ce sens qu'en pareille occurrence, ces associations n'auraient pas accès à la justice ».
Les faits ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation précité visaient, d’ailleurs, à déclarer recevable la constitution de partie civile d’une ASBL de protection de l’environnement dans le cadre d’une procédure pénale diligentée contre deux prévenus pour avoir érigé des constructions illégales et avoir, ce faisant, violé les règles d’urbanisme et d’aménagement du territoire en vigueur. Il y avait donc bien atteinte directe au droit national de l’environnement qui justifiait à suffisance l’intérêt à agir de l’ASBL de protection de l’environnement, dans le respect du troisième pilier de la Convention d’Arhus.
Or, comme exposé ci-dessus, cette troisième catégorie de décisions n’est pas applicable à la présente action, à défaut d’une violation du droit national de l’environnement. La jurisprudence de la Cour de cassation est donc uniquement orientée lorsque la personne morale entend contester des actes ou négligences contraires au droit de l’environnement national. « L’on ne peut donc, à notre sens, en déduire que les a.s.b.l. seraient, de manière générale, recevables à agir en justice pour contester les actes portant atteinte à l’intérêt collectif pour la défense duquel elles sont été constituées » (22).
22 X. XX XXX ET X. XXX XXXXXX, « Vers une action d’intérêt collectif devant les juridictions de l’ordre judiciaire ? », A.P.T., 2014, p. 390.
22 Cass., 4 janvier 2008, Pas., 2008, p. 27.
Enfin, il est utile de rappeler que la Convention d’Aarhus admet explicitement que les personnes qui peuvent agir en justice « répondent aux critères éventuels prévus » (23) par le droit interne.
23. D’un autre côté, l’ASBL Klimaatzaak ne dispose pas de la qualité de « victime » conformément à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle n’a donc, en tout état de cause, aucun intérêt à son second moyen, relatif à la violation des droits fondamentaux reconnus dans la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme estime que « Le statut de « victime », au sens de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne peut être accordé à une association que si elle est directement touchée par la mesure qui fait l’objet de sa requête » et que « Une association ne saurait se prétendre elle‐même victime de mesures qui auraient porté atteinte aux droits que la Convention reconnaît à ses membres, même si l’association a pour objet statutaire la défense des intérêts de ses adhérents » (24).
Dans l’affaire Xxxxxxx, le Hoge Raad des Pays-Bas a aussi rappelé qu’« Urgenda n’a pas le droit de se plaindre à la Cour européenne des droits de l’homme puisqu’elle n’est pas elle- même une victime potentielle de la menace de violation des articles 2 et 8 de la CEDH en question » (25). Toutefois, le droit néerlandais – contrairement au droit belge au moment de l’introduction de la présente action (26) – reconnait un droit d’action populaire, ayant permis à Urgenda au nom et pour le compte des résidents néerlandais susceptibles de disposer de ce statut de victime.
24. A défaut de dispositions, en droit belge, permettant à l’ASBL Klimaatzaak de pouvoir agir au nom de ses membres, dans la mesure où l’ASBL Klimaatzaak n’est assurément pas une
« victime » directe des violations qu’elles soulèvent et compte tenu des dispositions de la Convention d’Aarhus, qui ne s’applique pas en l’espèce (à défaut pour les parties demanderesses d’invoquer la violation d’une mesure de droit national de l’environnement), l’ASBL Klimaatzaak ne dispose pas de l’intérêt requis nécessaire à la présente action.
25. Pour le reste, l’ASBL Klimaatzaak soutient qu’il faudrait faire abstraction de la jurisprudence relative à l’intérêt devant le Conseil d’Etat ou la Cour constitutionnelle, dans la mesure où la présente affaire est portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.
La partie demanderesse peut difficilement être suivie dans la mesure où, notamment, la Convention d’Aarhus trouve à s’appliquer quelle que soit la juridiction saisie. Par conséquent, à suivre la partie demanderesse, la jurisprudence « plus stricte » du Conseil d’Etat ou et de la Cour constitutionnelle ne serait pas conforme à la Convention d’Aarhus, quod non.
26. Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, les associations sans but lucratif ont l’intérêt requis
« lorsqu'elles agissent dans le but qu'elles se sont fixé dans leurs statuts et que ce but ne
23 Xxxxxxx 0, § 0, xx xx Xxxxxxxxxx x’Xxxxxx.
24 Cour eur. D.H., 21 mai 2013, J.L.M.B, 2013, p. 1426.
25 Voy. l’arrêt du Hoge Raad du 20 décembre 2019, point 5.9.3.
26 Ce qui atteste à suffisance que le régime légal en vigueur au moment de l’introduction de la présente action ne permettait pas à l’ASBL Klimaatzaak d’agir en dehors des hypothèses visées par la Convention d’Aarhus.
coïncide pas avec la défense de l'intérêt général ni avec l'intérêt personnel de leurs membres » (27). Pour apprécier le caractère général du but statutaire poursuivi par une association, deux critères doivent être pris en compte : un critère social et un critère géographique (28).
En l’espèce, l’objet social de l’ASBL Klimaatzaak est rédigé dans des termes à ce point larges qu’il se confond avec l'intérêt général (ou « collectif », tel qu’invoqué par les parties demanderesses), à savoir la lutte contre le réchauffement climatique dans le monde. L’objet social de l’ASBL Klimaatzaak n’est pas territorialement délimité. Il est formulé d’une manière qui lui permet d’introduire des actions contre le réchauffement climatique dans tous les pays du monde.
27. En outre, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, l’objet social d’une association sans but lucratif doit être réellement poursuivi, ce qui doit ressortir d’activités concrètes et durables de l’association (29) pour éviter la constitution de personnes morales pour les seuls besoins d’un procès et écarter les recours d’associations à l’existence purement formelle (30). Cet arrêt du Conseil d’Etat tempère cette exigence lorsqu’une association est créée à l’occasion d’un projet spécifique, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Les commentaires de l’arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2013 invoqué par les parties demanderesses (et le libellé même de cet arrêt) confirment cette exigence de spécialisation (31), laquelle fait manifestement défaut en l’espèce.
28. Enfin, l’ASBL Klimaatzaak a été créée en novembre 2014, soit six mois avant le dépôt de la présente action, et son objet social semble révéler que cette dernière a été spécialement créée pour les besoins de la cause. Son site web est ainsi presque exclusivement consacré à exposer la présente action en justice. Ainsi, s’il n’est pas exclu que l’ASBL puisse avoir été constituée à l’occasion de la présente action, encore faudrait-il qu’elle puisse démontrer que son objet social est réellement poursuivi – au-delà de la simple action dont il est ici question.
3.4 RECEVABILITÉ DES PREMIÈRES PARTIES INTERVENANTES
29. Les premières parties intervenantes ne possèdent pas la personnalité juridique et ne satisfont dès lors pas au prescrit de l’article 17 du Code judiciaire (32).
Partant, la requête en intervention des premières parties intervenantes est irrecevable.
27 C.E., arrêt n° 234.375 du 13 avril 2016.
28 Idem.
29 C.E., arrêt n° 141.043 du 22 février 2005.
30 C.E., arrêt n° 203.430 du 29 avril 2010.
31 Cass. 11 juin 2013, Pas., 2013, n°361 ; X. XX XXX ET X. XXX XXXXXX, op. cit.
32 Cass., 4 janvier 2008, Pas., 2008, p. 27.
3.5 RECEVABILITÉ DES SECONDES PARTIES INTERVENANTES
30. Les secondes parties intervenantes font une intervention volontaire agressive dans le cadre de la présente action, tendant à faire prononcer une condamnation des parties défenderesses. Cette demande en intervention doit satisfaire aux conditions générales de recevabilité rappelées ci- avant.
A l’instar des demandeurs personnes physiques, chaque seconde partie intervenante ne démontre pas in concreto son intérêt personnel et direct à la présente action ou encore « un droit propre, distinct de celui des parties en causes » (33). Au contraire, telle que formulée dans la citation et leurs conclusions, la demande vise la préservation de l’intérêt général, sans que les secondes parties intervenantes n’expliquent en quoi leur demande en serait distinct.
Pour le reste, il est renvoyé aux développements sous la recevabilité des demandeurs personnes physiques, qui s’appliquent ici intégralement.
Partant, la requête en intervention des secondes parties intervenante est irrecevable.
33 X. XX XXXXX ET B. BIEMAR, op. cit., p. 181.
4. CADRE LÉGAL ET RÉGLEMENTAIRE
4.1 DROIT INTERNATIONAL
31. La convention-cadre de Nations-Unies sur les changements climatiques (ci-après « la CCNUCC ») signée à New York le 9 mai 1992 (34) vise à stabiliser les concentrations de GES dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique.
L’objectif de réduction des émissions de GES, formulé de manière générale et abstraite dans la CCNUCC, fut matérialisé pour la première fois par le protocole de Kyoto, signé le 11 décembre 1997 à l’issue de la troisième conférence des parties à la CCNUCC (35), dont l’article 3.1 prévoyait que les pays dits « développés » et visés à l’annexe I de la CCNUCC (ci-après « pays de l’annexe I ») « font en sorte, individuellement ou conjointement, que leurs émissions anthropiques agrégées, exprimées en équivalent-dioxyde de carbone, des gaz à effets de serre visés à l’annexe A ne dépassent pas les quantités qui leur sont attribuées, calculées en fonction de leurs engagements chiffrés en matière de limitation et de réduction des émissions inscrits à l’annexe B et conformément au présent article, en vue de réduire le total de leurs émissions d’au moins 5% par rapport au niveau de 1990 au cours de la période d’engagement allant de 2008 à 2012 ».
32. Le Protocole de Kyoto (déjà avant son entrée en vigueur en 2006) qui entraîna l’adoption, par l’Union européenne (ci-après « UE »), de nouvelles législations dans diverses matières directement et indirectement liées aux émissions de GES (voir ci-après), couvrait une « période d’engagement » qui s’étalait sur les années 2008 à 2012.
Les négociations relatives à la « deuxième période d’engagement » (2013-2020) échouèrent au terme du sommet de Copenhague, en 2009. À Durban, en 2011, lors de la 17ème Conférence des Parties à la CCNUCC, fut instituée une « plateforme » (36) ayant pour mandat la négociation d’un protocole, d’un autre instrument juridique ou d’un texte convenu d’un commun accord
34 Loi du 11 mai 1995 portant approbation à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et les annexes I et II, faites à New York le 9 mai 1992; décret de la Région wallonne du 16 février 1995 portant approbation de la convention-cadre des Nations-unies sur les changements climatiques, faite à New York le 9 mai 1992; décret de la Région flamande du 19 avril 1995 portant approbation de la convention-cadre des Nations-unies sur les changements climatiques, et les annexes I et II, signées à New York le 9 mai 1992; ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 avril 1995 portant assentiment à la convention-cadre des Nations-unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et aux annexes I et II, faites à New-York le 9 mai 1992. Approuvée par la Communauté européenne par la décision 94/69/CE du 15 décembre 1993 du Conseil concernant la conclusion de la convention-cadre sur les changements climatiques JO L 33, 7 février 1994, p. 11.
35 Loi du 26 septembre 2001 portant assentiment au protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations-unies sur les changements climatiques, et les annexes A et B, faits à Kyoto le 11 décembre 1997; ordonnance de la Région de Bruxelles- Capitale du 19 juillet 2001 portant assentiment au protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et les annexes A et B, faits à Kyoto le 11 décembre 1997; décret de la Région flamande du 22 février 2002 portant assentiment au protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ainsi qu’aux annexes A et B, faits à Kyoto le 11 décembre 1997; décret de la Région wallonne du 21 mars 2002 portant assentiment au protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations-unies sur les changements climatiques, ainsi qu’aux annexes A et B, faits à Kyoto le 11 décembre 1997 et à ses annexes.
36 Décision 1/CP.17, décembre 2011.
ayant valeur juridique élaboré au titre de la CCNUCC et applicable à toutes les Parties, pour 2015, avec entrée en vigueur en 2020. En 2012, à Doha, un amendement au Protocole de Kyoto fut adopté afin de fixer des objectifs de réduction des émissions pour la deuxième période d’engagement, pour 38 pays de l’annexe 1, et faire ainsi le lien avec le début de la période
« post-2020 », annoncée à Durban. Cet amendement dit « de Doha » (37) n’est, à ce jour, pas entré en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications. La Belgique a toutefois décidé de le ratifier à l’occasion de la 23° Conférence des Parties à Bonn, sans attendre l’engagement européen.
33. Lors de la 21ème Conférence des Parties à Paris, en 2015, fut conclu l’« Accord de Paris » visant essentiellement à :
− contenir l'élévation de température largement sous les 2°C (par rapport à l'ère préindustrielle) et viser à limiter cette élévation de température à 1,5°C ;
− augmenter la capacité des pays à s'adapter au réchauffement climatique et renforcer la résilience aux changements climatiques (adaptation) ;
− assurer la transition vers une société bas carbone ;
− parvenir au pic des émissions mondiales de GES dans les meilleurs délais, et ensuite réduire rapidement ces émissions de façon à parvenir à un équilibre entre émissions et absorptions anthropiques de GES (neutralité carbone) lors de la seconde moitié du siècle ;
− rendre les flux financiers compatibles avec la transition bas carbone et le renforcement de la résilience au réchauffement climatique.
34. Cet accord, juridiquement contraignant, s’éloigne de la formule « classique » où les efforts des différents pays devaient être négociés et inscrits dans l'accord lui-même, comme ce fût par exemple le cas avec le Protocole de Kyoto.
Selon l’Accord de Paris, toutes les parties déterminent elles-mêmes leurs contributions au niveau national (« Nationally Determined Contributions » - « NDCs »). Ces contributions doivent être révisées à la hausse tous les cinq ans sur la base de l’analyse périodique (au niveau global) de l’écart par rapport à une trajectoire qui limitera le réchauffement à 2°C ou 1,5°C.
En outre, toutes les Parties doivent aussi s'efforcer de formuler et de communiquer, au plus tard d'ici 2020, des stratégies à long terme de développement « bas carbone ».
37 Décision 1/CMP.8 (amendement au Protocole de Kyoto).
4.2 DROIT EUROPÉEN
35. Par décision 93/389/CE du Conseil du 24 juin 1993 relative à un mécanisme de surveillance des émissions des CO2 et des autres GES dans la Communauté (38), un premier mécanisme de surveillance des émissions de GES fut créé au sein de la Communauté européenne. Suite à l’évolution des instruments de droit international relatifs aux changements climatiques au cours des années nonante, cette décision fut remplacée par la décision 280/2004/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 relative à un mécanisme pour surveiller les émissions de GES dans la Communauté et mettre en œuvre le protocole de Kyoto (39).
36. Le protocole de Kyoto pouvait, aux termes de son article 26, être signé, ratifié, accepté ou approuvé par des organisations régionales d’intégration économique dont les membres parties à la CCNUCC remplissent conjointement leurs engagements prévus à l’article 3.
La Communauté européenne et ses Etats membres ont fait usage de cette faculté et se sont engagés à réduire conjointement leurs émissions de GES à hauteur de l’engagement de la Communauté européenne auquel cette dernière avait souscrit au titre de l’article 3.1 du protocole de Kyoto, soit 8% par rapport aux émissions de 1990.
Cet objectif de 8% de réduction des émissions de GES par rapport à leur niveau de 1990 a fait l’objet d’une répartition entre les Etats membres, par la décision 2002/358/CE du Conseil du 25 avril 2002 relative à l’approbation, au nom de la communauté européenne, du Protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (40). Aux termes de cette décision, la Belgique était tenue de réduire ses émissions de 7,5% au cours de la « première période d’engagement » (2008-2012).
37. Par décision 406/2009/CE du Parlement et du Conseil du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de GES afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020 (à savoir une réduction de 20% des émissions européennes) (41), l’objectif assigné à la Belgique pour 2020 fut fixé à 15% par rapport à 2005 dans le cadre des émissions des secteurs non couverts par le système communautaire d’échange de droits d’émissions, mis en place par la directive 2003/87/CE et qui encadre la réduction des émissions de GES des secteurs industriels les plus polluants par le biais d’un marché de droit d’émissions (« Emissions Trading Scheme » ou « ETS ») (42).
38. Parallèlement à l’adoption de ces objectifs de réduction, l’Union européenne a adopté de nombreuses directives, décisions et règlements en lien avec la lutte contre le changement climatique. Sans qu’il ne soit nécessaire d’en dresser ici l’inventaire complet, l’on peut citer :
38 JO L 167, 9 juillet 1993, p. 31.
39 JO L 49, 19 février 2004, p. 1.
40 JO L 130, 15 mai 2002, p. 1.
41 JO L 140, 5 juin 2009, p. 136.
42 Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de GES dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, JO L 257, 25 octobre 2003, p. 32.
− la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (43), remplacée par la directive 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 (44) ;
− la décision n° 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les Etats membres pour réduire leurs émissions de GES afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020 (45) ;
− la directive 2009/125/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie (46) ;
− la directive 2010/31/UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments (47) ;
− la directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique (48) ;
− le règlement 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de GES par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et modifiant le règlement (UE) 525/2013 (49) ;
− le règlement (UE) 2018/1999 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, qui établit la base légale pour l’élaboration du PNEC (50).
Le Conseil européen, dans ses conclusions des 23 et 24 octobre 2014 et des 17 et 18 mars 2016 sur le cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030, a approuvé un objectif contraignant de réduction des émissions de GES dans l’Union d’au moins 40% d’ici à 2030 par
43 JO L 140, 5 juin 2009, p. 16.
44 JO L 328, 21 décembre 2018, p. 82.
45 JO L 140, 5 juin 2009, p. 136.
46 JO L 285, 31 octobre 2009, p. 10.
47 JO L 153, 18 juin 2010, p. 13, récemment modifiée par la directive 2018/844 du 30 mai 2018, JO L 156 du 19 juin 2018, p.
75.
48 JO L 315 du 14 novembre 2010, récemment modifiée par la directive 2018/2002 du 11 décembre 2018, JO L 328, 21
décembre 2018, p. 210 et par la directive 2018/844 du 30 mai 2018, JO L 156 du 19 juin 2018, p. 75.
49 JO L 156, 19 juin 2018, p. 26.
50Règlement (UE) 2018/1999 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) 663/2009 et (CE) 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) 525/2013 du Parlement européen et du Conseil, JO L 328, 21 décembre 2018, p. 1.
rapport aux niveaux de 1990, soit 30% par rapport à l’année 2005 pour les secteurs ne relevant pas du système d’échange de quotas d’émissions établi par la directive 2003/87/CE.
Cet objectif est revenu à la hausse dans la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat ») présenté le 4 mars 2020, dont l’article 2, § 3, prévoit que « D’ici septembre 2020, la Commission réexamine l’objectif spécifique de l’Union en matière de climat pour 2030 visé à l’article 2, paragraphe 11, du règlement (UE) 2018/1999 à la lumière de l’objectif de neutralité climatique énoncé à l’article 2, paragraphe 1, et étudie la possibilité de fixer pour la même date un nouvel objectif de 50 à 55 % de réduction des émissions par rapport aux niveaux de 1990. Si la Commission estime nécessaire de modifier cet objectif spécifique, elle soumet au Parlement européen et au Conseil les propositions qu'elle juge appropriées » (51).
4.3 DROIT BELGE
A. RÉPARTITION DE COMPÉTENCES
39. Selon la Cour constitutionnelle, « le système belge de répartition des compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées repose en principe sur un système de répartition exclusive des compétences, ce qui implique que la compétence d’une autorité exclut la compétence de l’autre ou encore, en d’autres termes, que les sphères de compétence de l’autorité fédérale et des communautés et régions sont scindées en matières qu’une autorité peut régler à l’exclusion de l’autre » (52). Ce principe « implique que toute situation juridique soit en principe réglée par un seul législateur » (53).
L’exclusivité des compétences s’applique tant sur le plan matériel (une seule autorité dispose de la compétence de régler une matière déterminée), que sur le plan territorial : l’objet de toute norme adoptée par une entité fédérée doit pouvoir être localisé dans l’espace territorial sur lequel elle exerce sa juridiction, de sorte que toute relation ou situation concrète soit réglée par un seul législateur (54).
40. La lutte contre le changement climatique concerne essentiellement un ensemble de compétences réparties, en droit belge, entre l’Etat fédéral, les entités fédérées et les autorités provinciales et communales.
S’agissant d’une matière environnementale, elle est a priori dévolue à la compétence des régions en matière de protection de l’environnement et de conservation de la nature (art. 6, §
51 COM(2020) 80 final.
52 Avis n° 36.847/AG et 36.848/AG donnés le 20 avril 2004, Doc. parl., S., 2003-04, n° 3-38/2, p. 5.
53 Not. C.C., arrêt n° 76/2000 du 21 juin 2000, B.4.1.
54 Not. C.C., arrêt n° 51/2006 du 19 avril 2006, B.9.1.
1er, II et III, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, ci-après « LSRI » et loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, art. 4). La problématique du changement climatique touche toutefois de nombreux aspects de l’organisation de la société et ne se réduit dès lors pas à cette seule compétence. Sont ainsi par exemple également concernés, au titre des compétences régionales, l’urbanisme et l’aménagement du territoire (55), l’agriculture (56), l’économie (57) et, naturellement, la politique de l’énergie (58).
L’Etat fédéral, au titre notamment de ses compétences en matière de normes de produits (59), mais également, de manière plus large, en matière de politique énergétique (60), d’économie (61), de trafic ferroviaire (62) ou de gestion de l’aéroport de Xxxxxxxxx-Xxxxxxxx (00), a également un rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique.
L’exercice de la compétence constitutionnelle et du législateur spécial relève également exclusivement de l’Etat fédéral.
Enfin, les communautés, les provinces et les communes sont également concernées par la lutte contre le réchauffement climatique, au titre notamment de leurs compétences en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire, de mobilité, d’installations classées, d’enseignement et de recherche. Le Conseil d’État a ainsi rappelé (64), à propos de l’Accord de Xxxxx (00), que la CCNUCC et ses protocoles contiennent des engagements en matière de recherche scientifique et d’éducation aux changements climatiques (66).
41. L’ensemble des pouvoirs publics précités disposent de compétences fiscales et budgétaires susceptibles d’influencer, par voie dissuasive ou d’incitation, les émissions de GES. Si l’Etat fédéral dispose de compétences exclusives en matière d’accises (sur les énergies et les carburants notamment), de TVA, d’impôt des sociétés et (partiellement) d’impôt sur les personnes physiques, les régions disposent de leur côté de compétences propres en matière de taxation des véhicules, de l’eau et des déchets, de précompte immobilier, de droits d’enregistrement, de donation et de certains avantages fiscaux à l’impôt des personnes physiques. En outre, le principe de primauté de la loi fiscale (qui, sous réserve des matières fiscales réservées aux régions, attribue à l’impôt fédéral dont la « nécessité » est démontrée, une primauté sur les régimes fiscaux des entités fédérées (67)) confère au législateur fédéral une compétence de facto en matière de protection de l’environnement en général et de protection
55 Art. 6, § 1er, I, 1°, XXXX.
00 Xxx. 0, § 0xx, X, XXXX.
57 Xxx. 0, § 0xx, XX, XXXX.
58 Xxx. 0, § 0xx, XXX, XXXX.
59 Xxx. 0, § 0xx, XX, xx. 0, 0x, XXXX.
60 Art. 6, § 1er, VII, al. 3, XXXX.
00 Xxx. 0, § 0xx, XX, xx. 4, LSRI.
62 Xxx. 0, § 0xx, X, xx. 0 xx, 0xxxx, XXXX.
63 Xxx. 0, § 0xx, X, xx. 0 xx, 0x, XXXX.
64 Comme souligné par la section de législation du Conseil d’Etat dans son avis n° 59.630, Doc., Parl. wall., sess. 2016-2017, n° 666/1, p. 11.
65 Avis n° 60.129/4 donné le 28 septembre 2016 sur un avant-projet de loi portant assentiment à l’accord de Paris, fait à Paris le 12 décembre 2015, Doc., Ch. Repr., 2016-17, n° 2175/001, p. 21 et 22.
66 L’article 127, § 1er, 2°, de la Constitution attribue aux communautés la compétence d’enseignement.
67 Art. 170, § 2, al. 2, de la Constitution.
du climat en particulier, par le biais de l’effet incitatif ou dissuasif, selon les cas, des règles fiscales et comptables qu’il établit (par exemple, en matière de fiscalité automobile).
42. Il en ressort que la réduction des émissions de GES constitue un objectif susceptible d ’être poursuivi tant par l’Etat fédéral que par les entités fédérées, ainsi que par les pouvoirs locaux.
43. Les changements climatiques sont définis par la CCNUCC, et en droit belge dans l’accord de coopération du 14 novembre 2002, comme les « changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables » (68). L’objectif ultime de la CCNUCC et des instruments juridiques qui lui sont connexes est de stabiliser « les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (69).
Comme souligné par la doctrine récente, « La préservation du système climatique renvoie ainsi davantage à un objectif de politique publique qu’à une matière déterminée. Or, la distribution des compétences en Belgique fonctionne selon une logique d’énumération de matières attribuées aux collectivités fédérées ou réservées à l’autorité fédérale, ainsi qu’un principe de compétences résiduaires détenues par cette dernière, et non sur une répartition d’objectifs de politiques publiques » (70).
B. MÉCANISMES DE COOPÉRATION
44. La coordination des compétences respectives (a priori exclusives) de l’Etat fédéral, des communautés et des régions peut être assurée par la conclusion d’ « accords de coopération », définis comme « un traité interne conclu entre deux ou plusieurs entités au sein de l’Etat fédéral, par les autorités concernées, portant notamment sur la création et la gestion conjointe de services et institutions communes, sur l’exercice conjoint de compétences propres, ou sur le développement d’initiatives en commun » (71) et prévus par l’article 00xxx xx xx XXXX. Dans certains cas limitativement énumérés par les §§ 2 à 4 undecies de cet article, la conclusion d’un tel accord est imposée par le législateur spécial (72).
En revanche, selon la Cour constitutionnelle, « L’absence d’un accord de coopération dans une matière pour laquelle (…) le législateur spécial ne prévoit pas d’obligation à cette fin n’est pas, en règle, constitutive d’une violation des règles de compétence. Il appartient toutefois aux
68 Article 1er de la CCNUCC.
69 Art. 2 de la Convention-cadre.
70 M. EL BERHOUMI et C. NENNEN, « Le changement climatique à l’heure du fédéralisme », Amén., numéro spécial, 2019, p. 61 et références citées : not. C.C., arrêt 1/89 du 31 janvier 1989, 8.B.4, et l’avis n° 59.794/1/V du 9 septembre 2016 sur une proposition de loi relative au service citoyen, Doc., Ch. Repr., 2015-16, n° 1053-002, p. 6.
71 X. XXXXXXXX et X. XXXXXXXX, Principes de Droit constitutionnel belge (année académique 2016-2017), p. 376.
72 X. XXXXXXXX, « Le fédéralisme belge et la politique de l’environnement : concertation, coopération et,… agir chacun pour soi dans un contexte européen », Rev. Dr. ULB, 2009/1-2, p. 121-169.
autorités exerçant des compétences complémentaires d’apprécier l’opportunité de faire usage de l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (…) » (73).
Dans certains cas, la Cour constitutionnelle considère que les compétences en question sont « à ce point imbriquées » qu’elles ne peuvent être exercées qu’en coopération (74), sans toutefois imposer la conclusion d’un tel accord – une telle compétence d’injonction ne relevant au demeurant pas des prérogatives de la Cour constitutionnelle (75). Cette dernière annule alors les dispositions attaquées, ce qui contraint de facto la conclusion d’un accord de coopération, au risque de créer un vide juridique (76).
Dans les arrêts qui concluent à la nécessité de conclure des accords de coopération, la Cour considère que la proportionnalité, qui intervient dans l’examen de mesures susceptibles de porter atteinte aux compétences d’autres entités fédérées ou de l’Etat fédéral (77), empêche aussi, dans certaines circonstances, les législateurs d’agir unilatéralement, c’est-à-dire sans coopérer avec leurs homologues.
45. Il en ressort que la Cour constitutionnelle fait une distinction entre les compétences complémentaires et les compétences imbriquées : dans le premier cas, il n’existe en principe pas de risque d’interférence entre les mesures adoptées par les différents législateurs et la conclusion d’accords de coopération constitue une simple faculté, appréciée en opportunité par les entités fédérées et l’Etat fédéral. Dans le second cas, le risque de contradictions ou d’empiètement de compétences entre les mesures adoptées par les différents législateurs peut conduire à considérer que la conclusion d’accord de coopération est nécessaire (78), sans toutefois pour autant pouvoir être imposée (mais l’annulation de mesures adoptées unilatéralement par un législateur conduit à un résultat similaire).
En l’espèce, la coopération entre les entités fédérées et l’Etat belge en matière de lutte contre les changements climatiques, à quelques exceptions près (79), relève de l’exercice conjoint de compétences complémentaires, est donc essentiellement d’ordre facultatif et suppose le consentement de chaque partie prenante.
46. La loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles organise également un mécanisme spécifique de concertation et de coopération entre l’Etat fédéral et les entités fédérées. Parmi les organes institués par cette loi, le Comité de concertation (art. 31), composé de représentants du gouvernement fédéral et des gouvernements des entités fédérées, est chargé de la coordination politique, ainsi que de la prévention et du règlement des conflits d’intérêts.
73 C.C., arrêt 2/2009 du 15 janvier 2009, B.8, nous soulignons.
74 C.C., arrêt 134/2004 du 14 juillet 2004, B.6.2 ; arrêt 33/2011 du 2 mars 2011, B.10.2
75 X. XXXXX, « Les accords de coopération obligatoires – les nouvelles obligations dégagées par la Cour constitutionnelle »,
R.B.D.C., 2001/1, p. 18.
76 F. XXXXXXXX, « La politique belge en matière de climat, entre autonomie et coopération. Quelle place pour une vision à l’échelle nationale ? », Rev. b. dr. Const., 2017, liv. 3, p. 232-233.
77 C.-H. BORN, « Quelques réflexions sur le système de répartition des compétences en matière d’environnement et d’urbanisme en droit belge », R.J.E., n° spécial 2013, p. 207-208.
78 X. XXXXX, op. cit., note 74.
79 S’agissant par exemple du partage de la charge et, plus généralement, de la répartition des efforts en vue d’atteindre les objectifs fixés par le législateur européen.
L’article 31bis de cette loi permet à ce Comité de concertation « en vue de promouvoir la concertation et la coopération entre l’Etat, les Communautés et les Régions » de « constituer des comités spécialisés dénommés « conférences interministérielles » composés de membres du Gouvernement et des Exécutifs des Communautés et des Régions ». Celles-ci sont composées de membres du gouvernement fédéral, des gouvernements communautaires et/ou régionaux et n’ont aucun pouvoir de décision contraignant.
47. Parmi ces conférences interministérielles, la Conférence interministérielle de l’environnement (ci-après « CIE ») se compose des ministres fédéraux et régionaux dont les compétences sont liées à la politique environnementale et est présidée par le ministre fédéral de l’environnement. Lorsque le thème du changement climatique figure à l’ordre du jour, la CIE est élargie au Premier ministre, aux ministres-présidents régionaux, au ministre fédéral du budget, aux ministres chargés de l’énergie, des transports, de la fiscalité et de la coopération au développement, ainsi qu’aux ministres régionaux de l’économie (80).
48. Dans ce contexte, la mise en œuvre de mesures permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions découlant du protocole de Kyoto et de la décision 2002/358/CE a mené à la mise en œuvre de procédures de coopération et de concertation entre l’Etat fédéral et les régions, en application de l’article 00xxx, § 0xx, xx xx LSRI, ainsi que l’adoption d’instruments régionaux de transposition.
49. Relevons à ce titre :
− l’accord de coopération du 14 novembre 2002 entre l’Autorité fédérale, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif à l’établissement, à l’exécution et au suivi d’un Plan national Climat, ainsi qu’à l’établissement de rapports, dans le cadre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et du protocole de Kyoto ;
− l’accord de coopération du 23 septembre 2005 entre l’Autorité fédérale, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif à l’organisation et à la gestion administrative du système de registre normalisé et sécurisé de la Belgique conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil et à la décision n°280/2004/CE du Parlement européen et du Conseil ;
− l’accord de coopération du 2 septembre 2013 entre l’Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif à l’intégration des activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre conformément à la Directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la Directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ;
80 F. VANRYKEL, op. cit., p. 233.
− l’accord de coopération du 15 octobre 2015 entre l’Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale portant modifiant l’accord de coopération du 2 septembre 2013 entre l’Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif à l’intégration des activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre conformément à la directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ;
− l’accord de coopération du 20 janvier 2017 entre l’Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale, relatif à l’organisation et à la gestion administrative du registre national belge de gaz à effet de serre conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, au règlement (UE) n°525/2013 du Parlement européen et du Conseil, et à certains aspects de la mise aux enchères conformément au règlement (UE) n°1031/2010 de la Commission ;
− l’accord de coopération du 12 février 2018 entre l’Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif au partage des objectifs belges climat et énergie pour la période 2013-2020.
50. L’accord de coopération du 14 novembre 2002 prévoit la création d’une Commission Nationale Climat (ci-après « CNC ») composée de 32 membres désignés par les gouvernements de chaque partie à l’accord, en charge de diverses missions, parmi lesquelles l’élaboration du
« Plan National Climat » (ci-après « PNC »). Le PNC fut élaboré pour la période 2009-2012.
51. Le 24 décembre 2018, le règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’Union de l’énergie (81) est entré en vigueur. Il implique notamment l’obligation pour tous les Etats membres de l’UE de notifier à la Commission européenne pour le 31 décembre 2018, un premier projet de plan national énergie-climat 2021-2030 (ci-après « PNEC ») (82) et, pour le 31 décembre 2019 une version définitive. La Belgique a transmis son projet de PNEC et son PNEC définitif à la Commission européenne, endéans ces délais.
La contribution de la Région de Bruxelles-Capitale au PNEC belge a été approuvée par le Gouvernement bruxellois le 12 juillet 2018 (voy. le détail de ce plan bruxellois, ci-dessous, point 7.5, dossier, pièce 3).
81 Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) no 663/2009 et (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) no 525/2013 du Parlement européen et du Conseil, JO L 328 du 21 décembre 2018, p. 1.
82 xxxxx://xxx.xxxxxx.xx/xx-xx/xxxxxxxxxx/xxxxxxxxx-xxxxx/xxxxxxxxx-xxxxxxxxx/xxxx-xxxxxxxx-xxxxxx.
52. Dans ce contexte, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a marqué son accord, par décision du 13 décembre 2018, sur les points suivants (dossier, pièce 1) :
− l’adoption de la version provisoire du « Plan national énergie climat 2030 » ;
− la reconnaissance de la légitimité des recommandations du rapport du GIEC 2018 relatif à la nécessité de réviser à la hausse les objectifs de réduction de GES aux horizons 2030 et 2050 pour que l’Accord de Paris puisse être réalisé ;
− l’appui d’un rehaussement des ambitions climatiques européennes en matière de réduction d’émissions de GES via une actualisation de son engagement international de 40% à 55% ;
− le mandat à la Ministre de l’Environnement et de l’Energie de défendre cette position dans le cadre des différents organes de concertation belge et européen et l’appel aux autres entités belges à adopter une position similaire ;
− le mandat à la Ministre de l’Environnement, dans le cadre de la présidence bruxelloise de la CNC, de rapidement lancer la procédure de travail relative au « burden sharing » (« effort sharing », soit la répartition de l’effort national de réduction entre l’Etat belge et les régions) intrabelge 2030 et de lancer une étude comparée en vue d’améliorer la gouvernance climatique en Belgique.
53. Pour contribuer au PNEC belge définitif, le (nouveau) Gouvernement bruxellois a adopté le 24 octobre 2019 une version définitive du volet bruxellois (voy. le détail de ce plan bruxellois, ci- dessous, point 7.5, B, dossier, pièce 8). Le niveau d’ambition a été relevé pour viser une réduction d’au moins 40% des émissions directes de CO2 en 2030 par rapport à 2005 tout en intégrant un cadre de réduction des émissions indirectes.
C. DROIT RÉGIONAL BRUXELLOIS
54. En Région de Bruxelles-Capitale, le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de l’Énergie (ci- après « CoBRACE », dossier, pièce 7) rassemble l’ensemble des dispositions, anciennement contenues dans des ordonnances distinctes, liées à l’efficacité énergétique, au développement des sources d’énergie renouvelables, au transport, à la qualité de l’air et au climat (83).
Le CoBRACE prévoit également l’élaboration itérative d’un « plan régional Air-Climat - Energie ».
83 Ordonnance du 25 mars 1999 concernant l'évaluation et l'amélioration de la qualité de l'air ambiant ; ordonnance du 7 juin 2007 relative à la performance énergétique et au climat intérieur des bâtiment ; ordonnance du 31 janvier 2008 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre et relatif aux mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto ; ordonnance du 14 mai 2009 relative aux plans de déplacements.
Les mesures visées par ces dispositions sont détaillées ci-après, dans le cadre de la réfutation des moyens (point 7.5). Elles permettent d’établir l’absence de faute ou de négligence dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale et démontrent à suffisance que celle-ci a, dans le cadre de ses compétences, adopté toutes les mesures qu’une autorité normalement prudente et diligente, placée dans les mêmes conditions, aurait adoptées.
55. Pour le surplus et comme le relève la citation introductive d’instance, il n’existe pas de normes de droit positif imposant à la Région de Bruxelles-Capitale d’atteindre des objectifs déterminés en matière climatique, à l’exception des dispositions des accords de coopération précités.
À ce titre, l’objectif assigné à la Région de Bruxelles-Capitale de réduire ses émissions de GES de 8,8% en 2020 par rapport à la moyenne de ses émissions au cours des années 2008, 2009 et 2010 (4,385 millions de tonnes CO2-éq., soit un objectif de 3,999 millions de tonnes CO2-éq.), décliné en objectifs intermédiaires annuels pour la période 2012-2020, tel qu’imposé par l’accord de coopération précité du 12 février 2018 relatif au partage des objectifs belges climat et énergie pour la période 2013-2020, a été systématiquement respecté depuis 2013, comme exposé ci-après. A priori, l’objectif 2020 lui-même devrait être respecté.
56. Conformément au prescrit du CoBRACE, un plan « Air-Climat-Energie » a été adopté en juin 2016, aux termes duquel la Région bruxelloise s’est engagée à réduire, d’ici 2025, ses émissions de GES de 30% par rapport aux émissions de 1990, soit au-delà des objectifs européens (voy. ci-dessous, point 7.5).
57. En outre, dans le cadre de l’adoption de la version provisoire du PNEC en décembre 2018, la Région de Bruxelles-Capitale a clairement formulé sa volonté de soutenir un rehaussement des engagements de réduction des émissions de l’Union européenne de 40% à 55%.
Plus précisément, la Région de Bruxelles-Capitale mentionne qu’elle souhaite participer pleinement à ce rehaussement des engagements européens à travers la mise en place d’une task force qui travaillera sur le renforcement du volet bruxellois du PNEC, à travers cinq secteurs : le bâtiment et l’urbanisme, le transport et la mobilité, la fiscalité, la gestion des ressources, des matières et des déchets et les activités économiques (hors secteurs soumis aux quotas d’émission au titre de la directive 2003/87/CE).
58. Enfin, suite aux élections régionales de mai 2019, le nouveau Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a pris des engagements climatiques ambitieux dans sa déclaration de politique générale commune au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et au Collège réuni de la Commission communautaire commune pour la législature 2019-2024 (dossier, pièce 5) :
« Le Gouvernement entend répondre de façon ambitieuse aux objectifs européens et aux engagements pris lors de l’Accord de Paris, en portant une politique climatique juste et proactive. Il développera, à cet effet, une approche systémique, structurelle et structurante. L’ensemble des leviers régionaux seront mobilisés pour établir une nouvelle gouvernance climatique et faire de ces enjeux et ceux liés à la biodiversité un traceur des décisions régionales.
La Région se dotera d’une stratégie à long terme basée sur des objectifs contraignants et un cadre d’évaluation encadré par une « Ordonnance bruxelloise pour le Climat », afin que Bruxelles s’engage comme une Région « bas carbone ». Ceci impliquera de renforcer les engagements intermédiaires et les mesures actuellement inscrits dans la contribution bruxelloise au Plan national énergie-climat (PNEC), pour atteindre, dès 2030, au minimum 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005 et contribuer autant que possible à la rehausse des objectifs de l’Union européenne à cette échéance.
Compte tenu des défis et des opportunités que représentent de tels efforts dans une zone aussi dense et urbanisée, le Gouvernement s’engage à approcher l’objectif européen de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Par ailleurs, afin de réduire notre empreinte carbone réelle, un cadre de réduction des émissions indirectes sera intégré à la politique climatique régionale. Ceci permettra d’assurer une cohérence dans la lutte contre le changement climatique, de même que de se montrer solidaire des autres régions et territoires dont nous dépendons. Le Gouvernement s’inscrira dans un objectif comparable à celui des émissions directes à l’horizon 2050.
Un tel enjeu ne peut trouver de solution que s’il repose sur une vision partagée par les Bruxellois. A cet effet, le Gouvernement initiera un débat public, associant les citoyens bruxellois, les acteurs économiques, sociaux et institutionnels, les initiatives de transition et les pouvoirs locaux autour d’une vision « bas carbone » pour Bruxelles à l’horizon 2050.
Le Gouvernement appuiera également son action sur l’expertise scientifique. Un comité d’évaluation interdisciplinaire et indépendant, composé d’experts scientifiques, sera institué au sein du Conseil de l’environnement et sera chargé de remettre annuellement un rapport au Parlement sur l’état des politiques publiques en matière de stratégie climatique et de biodiversité régionale » (nous soulignons).
59. Ces objectifs sont confirmés dans la contribution bruxelloise à la stratégie bas carbone, adopté par décision du Gouvernement du 7 novembre 2019 et le volet bruxellois du PNEC (dossier, pièces 8 et 9).
Le PNEC prévoit des mesures relatives aux émissions directes (bâtiment, transport, grandes installations, gaz fluorés) et indirectes – c’est-à-dire produites pour la production de biens ou d’énergie en-dehors du territoire de la Région, c’est-à-dire en-dehors du champ de compétence de cette dernière (collecte de données, développement de l’économie circulaire, alimentation, équipement).
Les objectifs poursuivis et sur lesquelles débouchent l’ensemble des mesures quantifiables sont (p. 7) :
− pour 2030, une réduction de 40 % des émissions directes dans le secteur non-ETS. Il est précisé que « le Gouvernement veillera cependant à renforcer les engagements
intermédiaires et les mesures actuellement inscrits dans cette contribution bruxelloise au PNEC, pour atteindre, dès 2030, au minimum 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005 » ;
− pour 2050, la Région approcher l’objectif européen de neutralité carbone.
60. Il est renvoyé, pour le surplus, aux mesures décrites sous le point 7.5 des présentes conclusions.
5. EVOLUTION DES ÉMISSIONS DE GES EN RÉGION DE BRUXELLES- CAPITALE
5.1 EMISSIONS TOTALES – APERÇU
61. En Région de Bruxelles-Capitale, l’utilisation de sources fossiles d’énergie entraine l’émission des principaux GES suivants : le CO2 (ou dioxyde de carbone) et, marginalement, les gaz fluorés, le CH4 (ou méthane) et le N2O (ou protoxyde d’azote).
Le total des émissions de GES à partir du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale se situe (en 2017) autour de 3,7 millions de tonnes CO2-eq., soit 3% des émissions totales de la Belgique (114,538 millions de tonnes CO2-éq.) essentiellement réparties entre la Région flamande (75,511 millions de tonnes CO2-éq., soit 66%) et la Région wallonne (35,324 millions de tonnes CO2-éq., soit 31%) (dossier, pièce 10).
GES - émissions totales - Belgique
Région de Bruxelles-Capitale
Région wallonne
Région flamande
3%
31%
66%
À titre comparatif, une installation industrielle comme une cimenterie produit généralement environ 1,5 million de tonnes CO2-éq. par an, selon la taille de l’installation. Une centrale de production d’électricité au gaz émet quant à elle, dépendamment de sa puissance et de son âge, entre 500.000 et 1 million de tonnes CO2-éq. par an. Un site sidérurgique comme celui d’ArcelorMittal à Gand a émis à lui seul, 5,24 millions de tonnes CO2-éq. en 2006.
5.2 RÉPARTITION PAR TYPE DE GES ET PAR SECTEURS
62. Le CO2 représentait 90% du total des émissions de GES en Région de Bruxelles-Capitale en 2017 (84). Parmi ces 90%, le chauffage des bâtiments représente la principale source d’émissions directes de CO2 (60% des émissions directes de CO2), suivi du transport (30% des émissions directes de CO2). La contribution des activités industrielles est très faible et provient principalement du secteur de l’énergie (incinération de déchets ménagers avec production d’électricité).
63. D’un autre côté, les gaz fluorés représentaient 8% du total des émissions de GES en Région de Bruxelles-Capitale en 2016. Ces gaz sont principalement utilisés dans le secteur de la réfrigération, pour la production de mousses synthétiques ou encore dans l’industrie des semi- conducteurs (SF6). Enfin, le CH4 et le N2O représentaient chacun 1% du total des émissions de GES en Région de Bruxelles-Capitale.
64. Les émissions directes de GES en Région de Bruxelles-Capitale sont donc principalement caractérisées par des émissions de CO2 émanant du chauffage des bâtiments (résidentiel ou tertiaire), qui représente près de 56% des émissions de GES. La part du transport (27% des émissions) y est également supérieure à la moyenne nationale (22% des émissions).
Cela résulte de la configuration même de la Région de Bruxelles-Capitale qui constitue une
« ville-région » avec une densité importante du bâti. Plus particulièrement encore, le secteur des bâtiments résidentiels concentre la part relative la plus importante des émissions directes de CO2 en Région de Bruxelles-Capitale, comme illustré dans le graphique suivant :
84 xxxxx://xxxxxxxxxxxxx.xxxxxxxx/xxxxxxxxxxx/xxx-xxxxxx/xxxxxx/xxx-xxxxxxxxx-xx-xxx-xxxxx-xx-xxxxx-xx-xxxxxx-xx-xxxxxxxxx- capitale
65. Dans ce cadre, la réduction des émissions directes de GES poursuivie au niveau régional bruxellois se concentre notamment sur cette problématique, caractérisée par une multiplicité de sources d’émissions « diffuses » (concernant directement l’ensemble du million d’habitants bruxellois), en l’absence d’importantes sources d’émissions centralisées (industrie lourde).
La comparaison avec les sources d’émissions en Belgique est également illustrée ci-dessous, afin de démontrer les caractéristiques propres de la Région de Bruxelles-Capitale dans ce domaine, le chauffage résidentiel et tertiaire ne représentant pas à la même proportion à l’échelle belge (seulement 15,1%).
Part des différents secteurs dans les émissions totales belges en 2017 (%).
Source : xxxxx://xxx.xxxxxx.xx/xx-xx/xxxxxxxxxxx-xxxxxxxxxxx/xx- belgique/emissions-belges/emissions-par-secteur
5.3 ÉVOLUTION DES ÉMISSIONS DE GES EN RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE
6000,00
5000,00
4000,00
3000,00
2000,00
1000,00
0,00
émissions GES (kt CO2-eq)
66. Le graphique ci-dessous illustre l’évolution des émissions directes des GES en Région de Bruxelles-Capitale entre 1990 et 2017. Les émissions totales de GES de la Région de Bruxelles- Capitale en 2017 sont inférieures de 13% par rapport à 1990, et de 18% par rapport à 2005.
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
2017
67. Ventilées par secteur, ces réductions se présentent comme suit :
Première source de GES en Région de Bruxelles-Capitale, les émissions liées aux bâtiments ont sensiblement diminué, alors que la population bruxelloise a augmenté de 23,6% durant la même période (dossier, pièce 10) et que le parc de bâtiments résidentiels et le stock de bureaux ont
augmenté (selon les données de la Direction générale Statistique et Information économique (DGSIE) et de l’Observatoire des bureaux).
Le graphique ci-après reprend les mêmes données entre 1990 et 2017 en indiquant le total des émissions par année et la contribution de chaque secteur dans ce total d’émissions. Par ailleurs, le graphique reprend les objectifs Kyoto 2008-2012 (atteints pour la Région de Bruxelles- Capitale) ainsi que l’objectif de réduction de 8,8% en 2020 (issu de l’accord de coopération précité du 12 février 2018 relatif au partage des objectifs belges climat et énergie pour la période 2013-2020, atteints pour la Région de Bruxelles-Capitale).
5.4 ANALYSE
68. Les spécificités de la Région de Bruxelles-Capitale ont pour effet que les émissions de GES par habitant (3,11 tonnes CO2-éq. en 2017) y sont plus de trois fois inférieurs à la moyenne nationale (10,2 tonnes CO2-éq. en 2017) et des autres régions (Région wallonne : 9,77 tonnes CO2-éq. en 2017 ; Région flamande : 11,59 tonnes CO2-éq. en 2017).
1990
20
15
10
5
0
1995
2000
2005
2010
2015
20
15
10
5
0
Région de Bruxelles Capitale Région Flamande
Moyenne EU
Région Wallonne
Belgique
Emissions GES par habitant
(tCO2eq./hab)
Ceci ne signifie évidemment pas que la population bruxelloise serait plus vertueuse sur le plan de ses émissions, cette différence s’expliquant par la quasi-absence d’industries sur le territoire bruxellois. Toutefois, cette donnée indique bien que la Région de Bruxelles-Capitale ne peut déployer qu’une politique climatique essentiellement ciblée sur les émissions individuelles (chauffage, transport), où les marges sont réduites.
Cela étant, le PNEC prévoit également des mesures destinées à réduire les émissions indirectes, c’est-à-dire liées aux émissions générées par la production d’énergie et de biens importés sur le territoire bruxellois (dossier, pièce 8, point 1.1.1.2).
En dépit de ces contraintes (augmentation de la population de 23,6%, émissions essentiellement
« individuelles »), ces émissions moyennes par habitant en Région de Bruxelles-Capitale ont été réduites, entre 1990 et 2017, de près de 30%. Autrement dit, alors que la Région de Bruxelles-Capitale émettait 4,40 tonnes CO2-éq. par habitant en 1990, ce chiffre est tombé à 3,11 tonnes CO2-éq. par habitant en 2017, soit une réduction de près de 30%.
Par conséquent, un découplage entre les émissions régionales bruxelloises de GES et la population bruxelloise est ainsi amorcé et les actions prises par la Région de Bruxelles-Capitale depuis 1990 sont adéquates dans la lutte contre le changement climatique et permettent d’assurer que cette dernière « fait sa part » dans la lutte contre le changement climatique, sans préjudice des mesures complémentaires à adopter.
5.5 ANALYSE COMPARATIVE
69. Outre les comparaisons ci-dessus avec la Région flamande et la Région wallonne, les émissions de GES de la Région de Bruxelles-Capitale doivent être comparées avec celles d’autres Etats ou villes dans une situation comparable compte tenu du fait que le premier moyen tend à faire condamner la Région de Bruxelles-Capitale pour violation de son devoir de prudence (par référence au comportement de l’autorité publique normalement prudente et diligente placée dans une situation similaire) et que le second moyen fait référence à l’affaire Urgenda aux Pays- Bas (voir ci-dessous).
70. Dans ce cadre, les parties demanderesses soutiennent dans leurs conclusions de synthèse que
« vu que la Belgique, par exemple, se situe à la 31ème place parmi les 196 pays émetteurs parties à la CNUCC, ceci veut dire que plus de 150 pays émettent moins que nous » (85). A l’appui de cette affirmation, elles produisent un tableau en page 121 de leurs conclusions de synthèse.
Or, ce tableau ne classe pas les pays en fonction de leurs émissions de GES mais en fonction d’un score qui leur est attribué par des ONG environnementales (Germanwatch, The NewClimate Institute for Climate Policy and Global Sustainability et Climate Action Network) en fonction des émissions des pays (40% dansla pondération), des énergies renouvelables (20% de la pondération), de la consommation énergétique (20% de la pondération) et les politiques climatiques (20% de la pondération).
Par souci d’exactitude, la Région de Bruxelles-Capitale se doit de corriger ces informations manifestement erronées des parties demanderesses. Ainsi, en 2017 et uniquement en ce qui concerne les émissions de CO2 (qui représentent toutefois 85% des émissions de GES en Belgique cette année-là), la Belgique se classe 41ème sur 214 pays – et la Région de Bruxelles- Capitale se classe 142ème sur 214 pays (dossier, pièce 10).
Par comparaison avec d’autres Etats membres de l’Union européenne, l’Allemagne se situe à la 6ème place ; le Royaume-Uni à la 17ème place ; l’Italie à la 18ème place ; la France à la 19ème place ; la Pologne à la 20ème place ; l’Espagne à la 24ème place, les Pays-Bas à la 33ème place et la République Tchèque à la 39ème place.
Quoiqu’il en soit, ce type de classement et de comparaison sur la base d’émissions totales de GES ne présente qu’un intérêt restreint dans la mesure où il aboutit à comparer des Etats dans des situations géographiques, historiques, démographiques, etc. extrêmement variées. Ainsi, par exemple, la taille du pays et de sa population, son développement économique (notamment l’importance du secteur industriel et le mix énergétique), sa géographie (permettant, par exemple, la construction de centrales hydroélectriques ou de parcs éoliens en mer), sont des facteurs déterminants dans l’appréciation de l’effort fourni. Cette remarque est d’autant plus pertinente lorsqu’il s’agit d’examiner les émissions de GES d’une seule zone urbaine comme la Région de Bruxelles-Capitale.
C’est donc essentiellement l’effort fourni qui constitue le critère déterminant pour apprécier les comportements d’un Etat, sous la même réserve : la situation spécifique de chaque Etat (ou, s’agissant de la Région de Bruxelles-Capitale, de chaque partie d’Etat) devrait également être prise en considération.
À ce titre, suivant les statistiques d’Eurostat (1990-2017), l’effort de réduction d’émissions de GES de la Belgique (en CO2-éq.) est de plus de 20% (soit une valeur en 2017 de 79,5 par rapport à une valeur de 100 en 1990), effort qui se situe pleinement dans la moyenne européenne. Le graphique ci-dessus reprend les données d’Eurostat.
85 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 215.
Le graphique suivant détaille l’effort de réduction de la Belgique depuis 1990 (en bleu), par comparaison avec l’effort de réduction de l’Union européenne (en vert) et des Pays-Bas (en brun) (pour rappel, mise en cause dans l’affaire Urgenda pour comportement laxiste dans la lutte contre le changement climatique, voir ci-dessous).
Il apparaît d’emblée que les Pays-Bas n’ont réduit leurs émissions qu’à hauteur de moins de 10% depuis 1990, soit xx xxxxxx xx x’xxxxxx xx xxxxxxxxx xx xx Xxxxxxxx et de l’Union européenne.
6. LES DEMANDES DES PARTIES DEMANDERESSES
6.1 Rappel des différentes demandes
71. Dans leur citation du 2 juin 2019, les parties demanderesses demandaient à Votre Tribunal :
« A titre principal
1. Ordonner aux parties citées de (faire) diminuer le volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre en manière telle que le volume global de ces émissions doit avoir diminué en 2020 de 40%, ou à tout le moins de 25%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
2. A titre subsidiaire : ordonner aux parties citées de (faire) diminuer le volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre en manière telle que le volume global de ces émissions doit avoir diminué en 2030 de 55%, ou à tout le moins de 40%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
3. Ordonner aux parties citées de (faire) diminuer le volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre en manière telle que le volume global de ces émissions doit avoir diminué en 2050 de 87,5% ou à tout le moins de 80%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
4. Condamner les parties citées in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, au paiement d’une astreinte de 100.000 EUR par mois de retard à défaut de se conformer aux condamnations visées aux points 1 et 2, étant donné que les astreintes échues seront intégralement affectées à des mesures visant à réduire l’émission de gaz à effet de serre en Belgique.
A titre subsidiaire
5. Dire pour droit que les parties citées agissent de manière illicite envers les requérants et/ou les exposent à des violations des droits de l’homme si, au plus tard d’ici 2020, elles ne réduisent pas le volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre ou ne les ont pas fait réduire de 40%, ou à tout le moins de 25%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
6. A titre subsidiaire : dire pour droit que les parties citées agissent de manière illicite envers les requérants et/ou les exposent à des violations des droits de l’homme si, au plus tard d’ici 2030, elles ne réduisent pas le volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre ou ne les ont pas fait réduire de 55%, ou à tout le moins de 40%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
7. Dire pour droit que les parties citées agissent de manière illicite envers les requérants et/ou les exposent à des violations des droits de l’homme si, au plus tard
d’ici 2050, elles ne réduisent pas le volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre ou ne les ont pas fait réduire de 87,5%, ou à tout le moins de 80%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
8. A titre encore plus subsidiaire
9. Dire pour droit que le droit belge ne permet pas d’introduire de recours effectif (article 13 CEDH) pour garantir les droits des requérants contre un violation des articles 2 et 8 CEDH et, par conséquent :
i. de condamner les parties citées conformément aux points 1 à 3
ii. à défaut, d’accorder les déclarations de droit mentionnées dans les points 4 et 5
En tout état de cause
10. Ordonner aux parties citées de finaliser la répartition interne des charges entre elles dans les trois mois, tant en ce qui concerne les objectifs dans le cadre de la législation de l’Union européenne que, le cas échéant, les objectifs qui seraient fixés par le jugement à intervenir, sous peine d’une astreinte de 10.000 EUR par jour de retard ;
11. Ordonner aux parties citées de présenter dans les 9 mois un programme commun coordonné et commenté, contenant des mesures et des budgets (avec des informations concernant les avantages et les économies auxquelles l’on put s’attendre au niveau sociétal) au moyen duquel une réduction du volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre sera réalisée, en manière telle que ces émissions auront diminué de 87,5% ou à tout le moins de 80%, en 2050 par rapport au niveau de l’année 1990, sous peine d’une astreinte de 10.000 EUR par jour de retard ;
12. Condamner les parties citées à publier les programmes visés au point 8 tant sur le site internet qu’au Moniteur belge, et ce au plus tard deux semaines après l’établissement de la version définitive du programme, sous peine d’une astreinte de
5.000 EUR par jour de retard ;
13. Condamner les parties citées à publier le jugement à leurs frais dans deux journaux (quotidiens ou magazines) nationaux dans les deux semaines ;
14. Déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision ;
15. Condamner les parties citées aux entiers frais et dépens de l’instance, y compris l’indemnité de procédure liquidée au montant de 1.320 EUR, s’agissant d’une affaire non évaluable en argent. »
72. Dans leurs conclusions principales du 28 juin 2019, les parties demanderesses ont reformulé ces demandes comme suit :
« I. A titre principal
1° Constater que, selon les données le plus récentes à la clôture des débats, la Belgique n’a pas respecté ou n’est plus en mesure de respecter les objectifs qu’elle s’était assignés pour ce qui concerne la réduction des émissions de GES à l’échéance de 2020, selon les données communiquées par elle-même à la Commission européenne ;
2° Ordonner aux parties citées de prendre les mesures nécessaires pour amener la Belgique à diminuer ou faire diminuer le volume global des émissions annuelles de gaz à effet de serre à partir du territoire belge de manière à atteindre les réductions suivantes :
- en 2025, une réduction de 48%, ou à tout le moins de 45%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
- en 2030, une réduction de 65%, ou à tout le moins de 55%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
- en 2050, une émission nette nulle.
3° Condamner les parties citées in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, au paiement d’une astreinte de 1.000.000 EUR par mois de retard à défaut de se conformer aux condamnations visées au point précédent.
Dire pour droit que les astreintes échues seront intégralement affectées à des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en Belgique ;
II. A titre subsidiaire
4° Dire pour droit que les parties citées agissent de manière illicite envers les requérants et/ou les exposent à des violations des droit de l’homme si elles ne réduisent pas ou ne font pas réduire le volume global des émissions annuelles de gaz à effet de serre à partir du territoire belge de manière à atteindre les réductions suivantes :
- En 2025, une réduction de 48%, ou à tout le moins de 45%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
- En 2030, une réduction de 65%, ou à tout le moins de 55%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
- En 2050, une émission nette nulle.
III. En tout état de cause
Condamner les parties citées aux entiers frais et dépens de l’instance, y compris l’indemnité de procédure liquidée au montant de 1.320 EUR, s’agissant d’une affaire non évaluable en argent. »
73. Dans leurs conclusions de synthèse du 16 décembre 2019, les parties demanderesses ont reformulé ces demandes comme suit :
« Dire l’action recevable et fondée et ainsi :
1° Constater que les parties défenderesses n’ont pas, au plus tard en 2020, réduit le volume global des émissions annuelles de gaz à effet de serre à partir du territoire belge de 40%, ou à tout le moins de 25%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
2° Dire pour droit que les parties défenderesses violent les articles 1382 et 1383 du Code civil en ce qu’elles ne se comportent pas comme de bons pères de famille dans la poursuite de leur politique climatique et lèsent ainsi les intérêts des parties demanderesses;
3° Dire pour droit que dans la poursuite de leur politique climatique les parties défenderesses violent les droits fondamentaux des parties demanderesses, et plus précisément les articles 2 et 8 de la CEDH et les articles 6 et 24 de la Convention internationale des droits de l’enfant ;
4° En conséquence, ordonner aux parties défenderesses de prendre les mesures nécessaires pour amener la Belgique à diminuer ou faire diminuer le volume global des émissions annuelles de gaz à effet de serre à partir du territoire belge de manière à atteindre
- en 2025, une réduction de 48%, ou à tout le moins de 42%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
- en 2030, une réduction de 65%, ou à tout le moins de 55%, par rapport au niveau de l’année 1990 ;
- en 2050, une émission nette nulle ;
5° Mettre l’affaire en continuation afin de vérifier si les parties défenderesses ont atteint les objectifs imposés pour les échéances de 2025 et 2030 ;
A cette fin :
− ordonner aux parties défenderesses de communiquer à Votre Tribunal et aux parties demanderesses les rapports d’émission de gaz à effet de serre relatifs à 2025 et 2030 communiqués au Secrétariat de la CCNUCC, et ceci le jour même où ils sont communiqués à cet organe en 2026 respectivement 2031;
− fixer d’ores et déjà l’affaire trois mois après chacune de ces communications, avec instruction aux parties de déposer leurs conclusions relativement aux conclusions du rapport d’émission de gaz à effet de serre de l’année concernée
o pour les parties demanderesses : 1 mois à partir de la réception du rapport d’émission de gaz à effet de serre relatif à 2025 et à 2030 communiqués au Secrétariat de la CCNUCC ;
o pour les parties défenderesses : 1 mois à partir de la réception des conclusions des parties demanderesses.
− condamner les parties défenderesses, in solidum ou l’une à défaut de l’autre, au paiement d’une astreinte de 10.000 € par jour de retard à la première demanderesse, l’asbl Klimaatzaak à défaut de communiquer le rapport d’émission de gaz à effet de serre à Votre Tribunal et aux parties demanderesses dans les dix jours suivants le 15 avril de l’année de dépôt de rapport concernée;
6° Condamner les parties défenderesses in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, au paiement à la première demanderesse, l’asbl Klimaatzaak, d’une astreinte de 1.000.000 EUR par mois de retard à atteindre l’objectif imposé pour 2025 et l’objectif imposé pour 2030 et ceci à compter du 1er janvier de l’année suivant les échéances;
7° Acter que l’asbl Klimaatzaak s’engage à affecter intégralement les astreintes échues en conformité avec son objet social ;
En tout état de cause
1° Déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision ;
2° Condamner les parties citées aux entiers frais et dépens de l’instance, y compris l’indemnité de procédure liquidée au montant de 1.320 EUR, s’agissant d’une affaire non évaluable en argent ».
6.2 COMPÉTENCE DU TRIBUNAL – DÉCLINATOIRE DE JURIDICTION
A. LES DEMANDES IMPOSENT L’ADOPTION D’UN ACCORD DE COOPÉRATION
74. Dans la mesure où elles sollicitent à la Région de Bruxelles-Capitale « de prendre les mesures nécessaires pour amener la Belgique à diminuer ou faire diminuer le volume global des émissions annuelles de gaz à effet de serre à partir du territoire belge » (nous soulignons) et de les condamner « in solidum, ou l’une à défaut de l’autre » au paiement d’une astreinte à défaut de se conformer aux condamnations qui seraient prononcées, les parties demanderesses sollicitent de facto que Votre Tribunal impose la mise en œuvre des mécanismes de coopération visés au point 4.3, (b).
Dans leur citation, les parties demanderesses sollicitaient également une condamnation à
« finaliser la répartition interne des charges entre elles dans les trois mois » et de « présenter dans les 9 mois un programme commun coordonné et commenté, contenant des mesures et des budgets (avec des informations concernant les avantages et les économies auxquelles l’on put s’attendre au niveau sociétal) au moyen duquel une réduction du volume global des émissions belges annuelles de gaz à effet de serre sera réalisée ». Cette demande, manifestement excessive, n’est désormais plus formulée par les parties demanderesses.
Pour autant, comme exposé, la réduction des émissions de GES de la Belgique suppose nécessairement que soit conclu, entre les parties défenderesses, un accord de coopération relatif aux objectifs particuliers et aux mesures à mettre en œuvre pour atteindre un objectif global tel que souhaité par les parties demanderesses.
75. Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses exposent que « Chacune des parties [défenderesses] doit, dans les limites de ses compétences, honorer ses obligations, le cas échéant par la conclusion d’un tel accord, mais pas nécessairement. La question du "comment" leur revient donc entièrement » (86). Cet argument met en évidence la position que les parties demanderesses adoptent dans leur recours : d’une part, elles s’adressent collectivement aux parties défenderesses et s’abstiennent d’identifier, dans le chef de chacune d’elles, les manquements concrets aux dispositions qu’elles invoquent. D’autre part, elles soutiennent qu’il appartient chacune d’elles d’« honorer ses obligations » à titre individuel.
Les parties demanderesses font ainsi abstraction des particularités propres à chacune des défenderesses, en fonction desquelles la répartition de tout effort de réduction doit faire l’objet d’un accord. Or, imposer indistinctement aux parties défenderesses de réduire chacune leurs émissions des GES dans la proportion demandée par les parties demanderesses aboutirait à des situations inéquitables et disproportionnées. Par exemple, comme exposé ci-dessous, les habitants de la Région de Bruxelles-Capitale se verraient contraints à réduire les émissions de leur habitation dans une proportion largement supérieure par rapport aux habitants des autres régions.
Un accord entre les parties défenderesses serait donc inévitable s’il fallait faire droit à la demande formulée par les parties demanderesses.
76. Les parties demanderesses auraient pu, si elles le souhaitaient, introduire des actions distinctes contre chacune des défenderesses, et développer des critiques ciblées sur les particularités de chacune d’elles. Elles ont toutefois fait le choix de les citer collectivement et de solliciter une condamnation commune à Votre Tribunal, ce qui suppose qu’elles poursuivent de facto la conclusion d’un accord entre les parties défenderesses.
77. En tout état de cause, les parties demanderesses ne sauraient ignorer que les réductions d’émissions de GES de la Belgique supposent nécessairement que les régions et l’Etat fédéral s’accordent sur des questions essentielles comme, par exemple, la base de calcul à partir de laquelle doit être réparti l’effort de réduction qui leur serait imposé par Votre Tribunal. Des actions non concertées n’auraient aucune chance de rencontrer les prétentions des parties demanderesses et ne garantiraient en rien l’effectivité de la condamnation qui serait prononcée.
78. Or, comme exposé précédemment, l’article 92bis de la LSRI ne vise pas, au titre des matières pour lesquelles la conclusion d’un accord de coopération est imposé, la réduction des émissions de GES ni, plus largement, la lutte contre le changement climatique. En outre, au regard de la
86 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 589.
jurisprudence de la Cour constitutionnelle précitée, ces compétences se conçoivent comme complémentaires et non comme imbriquées, à l’exception du partage de la charge qui fait l’objet d’un accord pour la période entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2020 (accord de coopération du 12 février 2018 précité) et pour lequel un nouvel accord pour la période 2021- 2030 sera élaboré d’ici peu.
La conclusion d’un accord sur les objectifs de réduction des émissions de GES respectifs de chacune des entités fédérées et de l’Etat fédéral (obligation de résultat) est donc une condition sine qua non, un préalable nécessaire sur la base duquel des mesures concrètes peuvent ensuite être prises par les régions et l’Etat fédéral. Ces derniers disposent alors d’une totale autonomie dans le choix des moyens qu’ils décident de mettre en œuvre pour s’y conformer (absence d’obligation de moyen – sauf engagements en termes d’augmentation de la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d ’énergie, également visée dans l’accord de coopération), chacun dans sa sphère de compétences.
79. La répartition des compétences entre les entités fédérées et l’Etat fédéral est une matière réservée par la Constitution et au législateur spécial et repose sur les principes d’attribution et d’exclusivité. La coopération entre les entités fédérées et l’Etat fédéral constitue donc une exception aux dispositions de la Constitution et de la loi spéciale, que seuls le Constituant ou le législateur spécial sont habilités à imposer.
80. La nature particulière des accords de coopération justifie par ailleurs que la Cour constitutionnelle elle-même n’est pas compétente pour en contrôler le respect, confié à une juridiction ad hoc créée par la loi (art. 00xxx, § 0, XXXX et art. 30bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle). A fortiori, il ne se conçoit pas qu’une juridiction soit habilitée à imposer la conclusion d’un tel accord, ce qui supposerait d’en déterminer à tout le moins une partie du contenu.
81. Cette analyse est confirmée par l’avis rendu par la section de législation du Conseil d’Etat sur la proposition de loi spéciale « climat » (87), qui poursuivait comme objectif de confier à l’Etat fédéral la responsabilité de la politique climatique belge et, implicitement, de soustraire cette compétence aux régions et communautés. Ce procédé, contraire aux pouvoirs conférés au législateur spécial par la Constitution, a été dénoncé par la section de législation du Conseil d’Etat, selon laquelle les seules manières d’atteindre l’objectif des auteurs de la proposition de loi spéciale seraient :
− de modifier l’article 7bis de la Constitution pour fixer « des objectifs climatiques contraignants précis » :
− de « prévoir que l’État, les communautés et les régions sont tenus de respecter les objectifs climatiques contraignants définis dans une loi à majorité spéciale ou dans une
87 Doc., Ch. Repr., 2018-19, 54, n° 3517/004.
loi à majorité simple », le cas échéant uniquement « après concertation, participation, avis conforme ou accord des communautés et régions » (88).
Il se conçoit dès lors difficilement qu’une coordination pour laquelle le législateur spécial n’est pas compétent, et qui requiert une modification de la Constitution, puisse être imposée par voie judiciaire.
82. En ce que les demandes imposent l’adoption d’un accord de coopération, Votre Tribunal est incompétent.
B. LES DEMANDES NE RESPECTENT PAS LE PRINCIPE DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS
(i) INJONCTIONS AU POUVOIR LÉGISLATIF
83. Fondements juridiques invoqués – réparation en nature – Dans le cadre du présent litige, les parties demanderesses demandent à Votre Tribunal d’ordonner à la Région de Bruxelles- Capitale de faire diminuer le volume global des émissions belges annuelles de GES. À cette fin, elles se basent sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, d’une part, et sur les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 6 et 24 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant, d’autre part.
S’il n’est pas contestable que, moyennant le respect des conditions de mise en cause de la responsabilité extracontractuelle des pouvoirs publics (quod non en l’espèce, comme exposé ci-après, point 7.3), ces derniers peuvent se voir adresser des injonctions par les cours et tribunaux, une telle condamnation doit nécessairement résulter d’une violation des articles 1382 et suivants du Code civil ou de toute norme ad hoc prévoyant une telle compétence du juge.
Or, les parties demanderesses ont expressément distingué les bases juridiques des deux moyens qu’elles invoquent.
Partant, la seule violation des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 6 et 24 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant ne saurait conduire Votre Tribunal à faire droit aux injonctions visées aux points 4, 5, 6 et 7 de leur dispositif, ainsi qu’à celles formulées « en tout état de cause », dès lors que ces demandes ont pour objet (aux dires des parties demanderesses elles-mêmes) la réparation en nature d’un dommage.
84. Pouvoir exécutif et pouvoir législatif – Cette demande n’est ni clairement dirigée vers le pouvoir législatif bruxellois, ni vers le pouvoir exécutif bruxellois. Toutefois, en droit bruxellois, il n’existe pas, à ce jour, de norme législative habilitant le Gouvernement bruxellois ou imposant à celui-ci de prendre lui-même toutes les mesures nécessaires pour faire diminuer le volume global des émissions bruxelloises de GES, et certainement pas dans les proportions
88 Ibidem, p. 13.
demandées par les parties demanderesses. Les parties demanderesses n’invoquent d’ailleurs pas une telle disposition en droit bruxellois.
Comme l’indique le PNEC, « Cette stratégie sera initiée rapidement dans le cadre de l’exécution du règlement gouvernance, mais fera ensuite l’objet d’une réflexion approfondie et d’un large débat public. En effet, un tel enjeu ne peut trouver de solution que s’il repose sur une vision partagée par les Bruxellois. A cet effet, le Gouvernement initiera un débat public, associant les citoyens bruxellois, les acteurs économiques, sociaux et institutionnels, les initiatives de transition et les pouvoirs locaux autour d’une vision "bas carbone" pour Bruxelles à l’horizon 2050 » (souligné dans le texte).
Ainsi, faire droit aux demandes des parties demanderesses reviendrait à imposer le Parlement bruxellois à légiférer en ce sens, à défaut pour le Gouvernement bruxellois de pouvoir agir sans habilitation.
Un projet d’ordonnance « climat », qui inscrit dans la législation bruxelloise les objectifs repris au PNEC et dans la stratégie bas carbone, est actuellement en cours de rédaction.
Les parties demanderesses ne peuvent se cacher derrière leurs demandes et soutenir que la manière dont la Région de Bruxelles-Capitale s’y conformerait, en cas de condamnation, ne les regarde pas. Elles savent en effet parfaitement que le « monopole de la contrainte et leur pouvoir d’édicter des normes » qu’elles invoquent dans leurs conclusions additionnelles, ne s’exerce que dans un cadre constitutionnel, législatif et réglementaire strict qui impose, dans ce cas précis, l’intervention du législateur bruxellois.
Par conséquent, les parties demanderesses savent ou devraient savoir qu’elles demandent à Votre Tribunal de faire des injonctions au pouvoir législatif de la Région de Bruxelles-Capitale.
85. Séparation des pouvoirs – Or, de telles injonctions violeraient le principe de la séparation des pouvoirs, qui constitue en droit belge un principe général de droit à valeur constitutionnelle (89).
En effet, Votre Tribunal est invité à statuer sur l’opportunité d’un acte du pouvoir législatif et, partant, à se substituer à ce dernier pour lui imposer l’adoption d’un tel acte. Or, le principe de la séparation des pouvoirs est un moyen de défense qui est d’ordre public (90). Il ne s’agit pas uniquement d’un principe d’organisation politique mais également d’une norme juridique qui peut être invoquée devant le juge judiciaire (91).
86. La première limite du pouvoir judiciaire concerne l’interdiction de statuer par voie de dispositions générales, telle que prévue par l’article 6 du Code judiciaire. Les règles générales sont réservées au pouvoir législatif. Le juge, lui, ne statue que par voie de dispositions
89 X. XXXXXXXX, « Le juge civil et la séparation des pouvoirs », A.P.T., 2016, p. 435.
90 Idem, p. 436.
91 Idem, p. 435.
particulières ne s’appliquant qu’aux parties au litige porté devant lui. Cette limitation a une incidence sur la portée des mesures qui peuvent être sollicitées auprès des juridictions (92).
Ainsi, une décision judiciaire prise contre les pouvoirs publics ne peut pas avoir une portée telle qu’elle devienne générale ou règlementaire, c’est-à-dire qu’elle affecte directement les droits ou obligations des citoyens non parties au litige (93).
En l’espèce, si Votre Tribunal faisait droit aux demandes des parties demanderesses, il statuerait par voie de dispositions générales. En effet, comme exposé ci-dessus, ordonner à la Région de Bruxelles-Capitale de diminuer le volume global des émissions belges annuelles de GES constitue une injonction au pouvoir législatif de la Région de Bruxelles-Capitale de légiférer en ce sens. Une telle injonction aurait une portée générale et affecterait directement les droits et les obligations des citoyens non parties au litige.
87. Une autre limite concerne l’interdiction de statuer en opportunité. La question de l’opportunité relève des pouvoirs législatif et exécutif. Le juge ne statue qu’en application de la règle de droit. Lorsqu’aucune norme n’impose un comportement déterminé à l’autorité, celle-ci se voit reconnaître par le juge une liberté politique qui doit lui permettre d’agir de manière discrétionnaire dans l’intérêt général (94).
88. Il est renvoyé, pour le surplus, à la réfutation des moyens, et plus spécifiquement à la réfutation du premier moyen.
89. Enfin, l’article 9 de la Convention d’Aarhus invoqué par les parties demanderesses (qui vise la communication d’informations environnementales) est dépourvu d’effets directs et ne contient pas « d’obligation inconditionnelle et suffisamment précise susceptible de régir directement la situation juridique des particuliers » (95). Cette disposition n’est donc pas de nature à fonder les injonctions sollicitées par les parties demanderesses.
(ii) DISPOSITIONS ET PRINCIPESINVOQUÉS PAR LES PARTIES DEMANDERESSES
90. Dans leur citation, les parties demanderesses soulèvent une violation des articles 7bis, 22 et 23 de la Constitution, des principes de précaution et de prévention. Ces fondements ne sont toutefois plus explicitement invoqués dans les conclusions additionnelles des parties demanderesses.
Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses déclarent finalement ne plus invoquer ces dispositions comme fondements autonomes de leur action. Ce qui suit est dès lors formulé à titre conservatoire.
92 Idem, p. 438.
93 Idem , p. 441.
94 Idem, p. 438; Cass., 4 mars 2004, Pas., I, p. 374.
95 CJUE, C-470/16 du 15 mars 2018; X. XXXXXX, Droit de l’environnement, 8° édition, Paris, Dalloz, 2019, point 1373
91. Selon la doctrine, le juge ne peut contrôler lui-même le respect de la Constitution par les normes législatives, cette mission étant réservée à la Cour constitutionnelle. Le pouvoir judiciaire est dès lors incompétent pour constater la violation de la Constitution par le pouvoir législatif. Ainsi, sans l’intervention préalable de la Cour constitutionnelle, le juge ne peut constater une faute « constitutionnelle » dans le comportement du législateur (96).
Par conséquent, Votre Tribunal est incompétent pour constater une violation des articles 7bis, 22 et 23 de la Constitution par le législateur bruxellois.
92. En ce qui concerne le principe de prévention, dans le cadre de la réparation du dommage, la doctrine établit une distinction entre la notion de réparation et la notion de prévention. Alors que la réparation, pour être ordonnée par un juge, suppose l’existence d’un dommage légitime, personnel et certain, la prévention vise quant à elle un risque de préjudice (97).
L’idée d’une prévention par le pouvoir judiciaire du dommage que pourrait causer le législateur est critiquée par la doctrine parce qu’elle impliquerait une très forte restriction de la liberté des assemblées démocratiquement élues. Le seul instrument mis à la disposition des justiciables par le droit positif est la demande de suspension de la norme législative devant la Cour constitutionnelle. Le juge judiciaire est en revanche incompétent pour suspendre les effets d’une loi en vue de prévenir la réalisation d’un dommage (98).
Votre Tribunal est dès lors incompétent pour juger une violation du principe de prévention.
C. MISE EN CONTINUATION
93. Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses demandent désormais à Votre Tribunal de :
« 5° Mettre l’affaire en continuation afin de vérifier si les parties défenderesses ont atteint les objectifs imposés pour les échéances de 2025 et 2030 ;
A cette fin :
− ordonner aux parties défenderesses de communiquer à Votre Tribunal et aux parties demanderesses les rapports d’émission de gaz à effet de serre relatifs à 2025 et 2030 communiqués au Secrétariat de la CCNUCC, et ceci le jour même où ils sont communiqués à cet organe en 2026 respectivement 2031;
96 X. XXXXXX, « Arrêt d’espèce ou arrêt de principe? Réflexions de synthèse autour de la décision de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 », R.B.D.C., 2007/4, p. 404.
97 Idem, p. 412.
98 Idem.
− fixer d’ores et déjà l’affaire trois mois après chacune de ces communications, avec instruction aux parties de déposer leurs conclusions relativement aux conclusions du rapport d’émission de gaz à effet de serre de l’année concernée
o pour les parties demanderesses : 1 mois à partir de la réception du rapport d’émission de gaz à effet de serre relatif à 2025 et à 2030 communiqués au Secrétariat de la CCNUCC ;
o pour les parties défenderesses : 1 mois à partir de la réception des conclusions des parties demanderesses.
− condamner les parties défenderesses, in solidum ou l’une à défaut de l’autre, au paiement d’une astreinte de 10.000 € par jour de retard à la première demanderesse, l’asbl Klimaatzaak à défaut de communiquer le rapport d’émission de gaz à effet de serre à Votre Tribunal et aux parties demanderesses dans les dix jours suivants le 15 avril de l’année de dépôt de rapport concernée ».
94. Cette demande est manifestement abusive dès lors que, d’une part, la communication des inventaires nationaux se fait selon un processus lent, qui comprend une étape de validation par un comité d’expert international. Ces données ne peuvent être communiquées qu’après validation finale et la coordination intra-belge assurée par la Commission nationale climat.
D’autre part, s’agissant d’informations environnementales, ces informations pourront être sollicitées sur la base du décret et de l’ordonnance conjoints de la Région de Bruxelles-Capitale, la Commission communautaire commune et la Commission communautaire française du 16 mai 2019 relatifs à la publicité de l'administration dans les institutions bruxelloises, telle qu’organisée par l’arrêté Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 10 novembre 1994 déterminant les modalités d'organisation de l'accès à l'information en matière d'environnement auprès de certaines administrations régionales.
95. Enfin, la demande de fixation de délais pour le dépôt de conclusions suite à cette communication dépasse en outre la saisine de Votre Tribunal, dès lors qu’elle repose sur des faits futurs et, par hypothèse, non démontrés.
6.3 ASTREINTE
96. Les parties demanderesses sollicitent, aux termes de leur dispositif, que certaines mesures soient assorties d’une astreinte.
97. Selon la doctrine et la jurisprudence, pour qu'il soit possible au juge de l'exécution de déterminer s'il y a eu infraction à une condamnation principale, celle-ci doit être formulée de manière
suffisamment complète et précise (99). Or, comme il n’appartient pas à Votre juridiction de se substituer aux autorités compétentes pour la mise en place de mesures de lutte contre le changement climatique, la condamnation n’a pas lieu d’être et ne saurait, en toute hypothèse, pas être formulée de manière suffisamment complète et précise, notamment dans la mesure où la mise en place de mesures complètes et précises de lutte contre le changement climatique est, par hypothèse, impossible à vérifier.
98. Les parties demanderesses soutiennent néanmoins que leur demande, formulée sur des objectifs de réductions globaux à atteindre collectivement à des échéances déterminées, aurait un caractère précis et complet.
Pour autant, cette simple affirmation ne permet pas de réfuter l’impossibilité pour un tribunal de vérifier l’effectivité et la pertinence des mesures qui seraient prises par la Région de Bruxelles-Capitale pour se conformer à l’injonction qui lui serait faite conformément au 4° du dispositif.
En outre, le délai d’un mois laissé à la Région de Bruxelles-Capitale pour prendre ces mesures est manifestement déraisonnable et impraticable : sur quelle base serait-il possible de considérer, en 2020, que l’action de la Région de Bruxelles-Capitale serait ou non suffisante au regard d’objectifs de réduction à atteindre en 2025, 2030 et 2050 ?
Partant, à supposer qu’il y ait lieu d’imposer à la Région de Bruxelles-Capitale de prendre les mesures sollicitées par les parties demanderesses, quod non, une telle condamnation ne saurait être formulée dans des termes suffisamment précis pour que leur violation puisse être constatée et donner lieu au paiement d’une astreinte.
99. En ce qui concerne l’astreinte sollicitée pour l’exécution de la demande formulée au 5° du dispositif, comme exposé ci-dessus, la communication du rapport d’émission de GES ne peut avoir lieu qu’au terme d’une procédure de validation qui exclut que cette communication puisse, de manière certaine, intervenir pour le 15 avril de l’année de dépôt de rapport concerné. En outre, comme également rappelé ci-dessus, cette communication peut être demandée sur la base des dispositions de droit régional relatives à la publicité des informations environnementales, qui prévoit des voies de recours ad hoc.
99 X. XXXXXXXX, « L’astreinte - chronique de jurisprudence (2007-2011) », J.T., 2012/42, n° 6502, p. 859 et références citées.
7. RÉFUTATION DES MOYENS
100. À titre subsidiaire, les demandes formulées par les parties demanderesses doivent être rejetées en raison de l’absence de fondement juridique.
7.1 PRÉTENTIONS DES PARTIES DEMANDERESSES
101. Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses soutiennent, d’une part, que la responsabilité civile de la Région de Bruxelles-Capitale serait engagée sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil.
− Selon les parties demanderesses, la première faute de la Région de Bruxelles-Capitale serait une erreur de conduite déduite du fait de ne pas prendre les mesures appropriées pour diminuer les émissions de GES, alors qu’elles ont connaissance du risque et des conséquences du changement climatique. Dans ce cas, le comportement est jugé fautif en raison de la violation du principe général de prudence.
En outre, selon les parties demanderesses, la faute serait aggravée par la violation du principe de précaution et de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
− Les parties demanderesses soutiennent que leur dommage est établi par une littérature scientifique de plus en plus éclairée et précise, et notamment par le GIEC.
− Le lien de causalité a, selon les parties demanderesses, été admis par les Etats, qui ont accepté de prendre des engagements de réduction des émissions de GES parce qu’ils ont constaté que le réchauffement climatique conduit à des conséquences catastrophiques. La faute qui consiste à ne pas assumer ces engagements aurait donc nécessairement un lien de causalité avec le dommage.
102. D’autre part, contrairement aux conclusions principales des parties demanderesses du 28 juin 2019, ces dernières invoquent désormais « en tant que fondements autonomes de leur action » (et non plus comme élément de faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil), la violation des articles 2 et 8 (mais plus 13) de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que la violation des articles 6 et 24 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
La violation des principes de précaution et de prévention, la violation de normes de droit international « appartenant au régime légal international climatique », la violation de quelconques règles de droit de l’Union européenne, la violation des articles 22 et 23 de la Constitution et la violation de l’article 714 du Code civil ne sont désormais plus invoquées (pour autant qu’elles l’aient été) en tant que fondements de leur action.
7.2 REMARQUES PRÉALABLES
A. FAUTE DU LÉGISLATEUR BRUXELLOIS
103. Premièrement, comme déjà exposé, la demande n’est clairement dirigée ni vers le pouvoir
législatif bruxellois, ni vers le pouvoir exécutif bruxellois.
Selon les parties demanderesses, « Le fait que les trois pouvoirs de l’Etat puissent engager sa responsabilité ne donne donc pas lieu, à l’occasion de la présente affaire, à des discussions quant à savoir qui, de leurs législateurs et exécutifs respectifs, est responsable de l’inaction des défenderesses. Les parties demanderesses font évidemment grief aux défenderesses de ne pas avoir adopté les mesures appropriées, qu’elles soient de nature législative ou exécutive, pour remédier à la problématique du réchauffement climatique et obvier aux conséquences attentatoires à leurs intérêts et à leurs droits fondamentaux » (100).
Toutefois, en droit bruxellois, il n’existe pas, à ce jour, de norme législative habilitant le Gouvernement bruxellois ou imposant à celui-ci de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire diminuer le volume global des émissions bruxelloises de GES dans une proportion compatible avec les demandes formulées devant Votre Tribunal. Les parties demanderesses n’invoquent d’ailleurs pas une telle disposition en droit bruxellois. Ainsi, faire droit aux demandes des parties requérantes revient à imposer au Parlement bruxellois de légiférer en ce sens – à défaut pour le Gouvernement bruxellois de pouvoir agir sans habilitation.
Les réductions d’émissions de GES postulées par les parties demanderesses, toutes justifiées soient-elles, ne sauraient être atteintes par la simple adoption d’arrêtés du Gouvernement bruxellois et nécessitent, comme exposé ci-avant, l’intervention du législateur.
Les parties demanderesses soutiennent, en réponse à cet argument, que les pouvoirs législatif et exécutif « interagissent en permanence » et que, du fait de la majorité dont doit disposer un gouvernement au sein d’une assemblée législative, « faire la part entre la responsabilité de l’exécutif et celle du législatif en cas d’inaction préjudiciable est donc impossible » (101).
Ce raisonnement aboutit à confondre les pouvoirs législatif et exécutif, dont la séparation constitue pourtant un élément essentiel du fonctionnement institutionnel consacré par les articles 105 et 108 de la Constitution.
Cet argument ne répond pas davantage à celui qui rappelle qu’à défaut d’habilitation légale, le pouvoir exécutif est sans compétence. Les parties demanderesses restent encore une fois évasives lorsqu’elles énoncent, sans autre précision, qu’ « [une] part importante des initiatives
100 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 418.
101 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 420.
qui sont de nature à réduire les émissions de GES n’ont pas besoin d’une habilitation légale, ou disposent déjà d’une telle habilitation, celle-ci étant insuffisamment mise en œuvre » (102).
104. Cette distinction entre le régime de responsabilité applicable au pourvoir exécutif, d’une part, et au pouvoir législatif, d’autre part, est toutefois trop importante pour pouvoir être esquivée par quelques formules générales dépourvues de toute référence jurisprudentielle ou doctrinale (103).
Il est en effet fondamentalement différent, tant sur le plan juridique que sur le plan politique, de mettre en cause la responsabilité d’un Etat (ou, en l’occurrence, d’une région) dans sa fonction exécutive (et d’administration) ou dans sa fonction législative. Dans le premier cas, en effet, il peut être reproché au pouvoir exécutif (dont les pouvoirs sont « d’attribution ») de ne pas mettre en œuvre les règles adoptées par le législateur, ou de ne pas se conformer à ces dernières. Dans le second cas, en revanche, à l’exception des règles constitutionnelles et de droit international (voir ci-après), le législateur agit – ou n’agit pas – directement sur la base du mandat dont il est investi à l’issue des élections (pouvoirs « résiduels », uniquement limités par les matières que la Constitution réserve à d’autre pouvoirs). Ignorer l’existence d’une distinction dans les régimes de responsabilité applicables à ces deux pouvoirs n’est donc pas justifié en droit, comme en atteste au demeurant l’ensemble de l’abondante doctrine et de la jurisprudence sur le sujet (104).
Comme le souligne X. XXXXX, « Le rapprochement qui est fait avec la carence dans l’exercice par le Roi de son pouvoir réglementaire n’est pas davantage pertinent. En n’exerçant pas son pouvoir réglementaire nécessaire à l’exécution de la loi, le Roi est susceptible de paralyser les effets de cette dernière, ce qui est contraire à l’article 108 de la Constitution qui interdit de suspendre les lois » (105).
105. Au demeurant, la responsabilité du pouvoir exécutif, dans l’exercice de sa fonction réglementaire d’exécution des lois, décrets ou, en l’espèce, d’ordonnances, est strictement encadré par les habilitations dont il dispose. Également tenu au respect du principe de la séparation des pouvoirs, il est sans compétence pour adopter des règlements sans habilitation préalable du législateur. Si sa responsabilité peut être engagée en cas de défaut d’adoption de mesures d’exécution voulues par le législateur (106), pour autant, il ne saurait se voir reprocher une inaction en l’absence d’une telle habilitation.
Comme relevé ci-dessus, en l’espèce, il y lieu de considérer que les demandes – et singulièrement les injonctions - sollicitées à Votre Tribunal par les parties demanderesses et, partant, les fautes qui en constituent le fondement, sont inévitablement formulées à l’encontre
102 Idem.
103 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, p. 221 et s.
104 Voy. par exemple La responsabilité des pouvoirs publics, XXII journées d’études juridiques Xxxx Xxxxx, D. RENDERS (coord.), Bruxelles, Bruylant, 2016, 693 p.
000 X. XXXXX, « Quelques doutes sur la soumission du législateur au droit commun de la responsabilité civile », J.T., 2007, p.
441.
106 Voy.par ex. Cass., 29 avril 1971, J.T., 1972, p. 689, obs. PH. XXXXXXXX.
du législateur bruxellois. Cet argument, déjà soulevé en premières conclusions, n’a pas été réfuté de manière précise par les parties demanderesses, qui demeurent en défaut de démontrer que le cadre législatif et ordonnantiel actuellement en vigueur en Région de Bruxelles-Capitale permettrait (quod non) au Gouvernement de prendre les mesures qui seraient rendues nécessaires pour l’exécution d’une condamnation par Votre Tribunal.
B. CONDAMNATION COLLECTIVE
106. Deuxièmement, il y a lieu de relever que les demanderesses formulent leurs griefs sans distinction entre les différentes parties défenderesses, sans préciser en quoi, in concreto, chacune d’entre elles aurait, dans l’exercice de ses compétences, commis une faute au sens des dispositions invoquées. Les parties demanderesses formulent en effet leurs griefs de manière générale et indifférenciée, sans tenir compte des particularités propres à chacune des parties défenderesses et mesures déjà mises en œuvre par chacune d’elles, du fait notamment des compétences matérielles qu’elles exercent et des spécificités territoriales, sociales, environnementales et économiques qui caractérisent l’exercice de ces compétences par chacune d’elles.
Les parties demanderesses formulent essentiellement leurs arguments autour de la notion d’« Etat », dont l’obligation serait par exemple « en lieu principal de faire sa part afin d’éviter le réchauffement » (107). Or, la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas un Etat. Elle n’en a ni la forme juridique, ni les compétences. Elle est, en revanche, un démembrement de l’Etat belge, et exerce à ce titre ses compétences dans un cadre juridique, institutionnel, politique et budgétaire bien déterminé.
107. Les parties demanderesses n’exposent en outre en rien en quoi, in concreto, les mesures adoptées à ce jour par la Région de Bruxelles-Capitale démontreraient l’existence d’un comportement fautif de cette dernière ni, a fortiori, quelles seraient les mesures concrètes que la Région de Bruxelles-Capitale devrait ou aurait dû adopter pour se conformer à leurs demandes. Au lieu de cela, les parties demanderesses se contentent de solliciter que soit reconnue une faute et demandent que la Région de Bruxelles-Capitale soit condamnée à prendre
« les mesures nécessaires pour amener la Belgique à diminuer ou faire diminuer le volume global des émissions annuelles de gaz à effet de serre », comme si aucune mesure de ce type n’avait été adoptée à ce jour, ce que dément sans aucune contestation possible la réalité des faits tels qu’exposés au point 7.5 des présentes conclusions.
108. Les parties demanderesses ont manifestement fait le choix d’ignorer cette réalité.
Plutôt que de diriger une action spécifique à l’encontre de la Région de Bruxelles-Capitale, dans laquelle elles auraient identifié des griefs précis à son encontre, compte tenu de sa nature, de
107 Conclusions principales des parties demanderesses, p. 213.
ses compétences, des mesures existantes, etc., les demanderesses ont choisi de formuler leurs griefs et leurs demandes de manière indifférenciée à l’encontre des régions et l’Etat fédéral.
Depuis plusieurs années, la Région de Bruxelles-Capitale a pourtant approuvé de nombreuses ordonnances et arrêtés et approuvé différents plans stratégiques (108) destinés (essentiellement ou incidemment) à réduire les émissions de GES (109). Or, les parties requérantes n’ont jamais contesté ces décisions (qui seraient, selon elles, insuffisantes) et s’abstiennent de le faire dans le contexte de la présente action.
Ainsi, par exemple, l’ASBL Klimaatzaak n’a introduit aucune remarque au cours des enquêtes publiques organisées dans le cadre de l’adoption du PNEC régional bruxellois (une seule parmi les 8.429 parties co-demanderesses a participé à l’enquête relative au PNEC bruxellois) et du PNEC fédéral, et ne formule à aucun moment une critique ciblée sur les mesures visées par ces documents.
Par conséquent, les griefs qu’elles soulèvent sont formulés de manière abstraite et leur quatrième demande (« ordonner aux parties défenderesses de prendre les mesures nécessaires pour amener la Belgique à diminuer ou faire diminuer le volume global des émissions annuelles de gaz à effet de serre à partir du territoire belge (…) ») se lit comme l’imposition d’obligations de résultat qu’il ne tiendrait qu’aux parties défenderesses d’atteindre de manière collective, alors qu’il est manifeste que celles-ci ne se présentent ni en droit, ni en fait, comme une seule et même personne et se distinguent, au contraire, les unes des autres en fonction de leurs compétences, de leurs caractéristiques sociales et économiques, de leurs territoires, etc.
109. Ainsi, par exemple, la nature presque exclusivement urbaine de son territoire, la part réduite des émissions de GES en provenance d’activités industrielles, la forte densité de population, les ressources budgétaires, le niveau de vie de la population, pour citer quelques exemples, distinguent la Région de Bruxelles-Capitale des autres parties défenderesses. La réduction des émissions de GES d’une zone urbaine ne se pose pas dans les mêmes termes que pour un Etat ou, en l’occurrence, pour une région non exclusivement urbaine.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’accord de coopération du 12 février 2018 entre l'Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif au partage des objectifs belges climat et énergie pour la période 2013-2020 impose à la Région de Bruxelles-Capitale un objectif de réduction de ses émissions de GES (hors secteur ETS, c’est- à-dire, en ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, l’essentiel de ses émissions) de 8,8% contre respectivement 15,7% et 14,7% pour les Régions flamande et wallonne.
110. Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses jugent ces affirmations
« vraiment curieuses », dans la mesure où « dès lors qu’une mesure à prendre pour protéger les citoyens ou leur éviter des dommages est transversale, le principe de responsabilité des
109 Par exemple, le Plan de gestion des ressources et des déchets – « PGRD » – approuvé par le Gouvernement le 22 novembre 2018), le PNEC (précité), le Plan Air-Climat-Energie (précité), etc.
pouvoirs publics doit céder devant l’impossibilité des entités de l’Etat à se mettre d’accord » (110).
La Région de Bruxelles-Capitale ne postule cependant rien de tel. Elle soutient uniquement que les parties demanderesses demeurent en défaut d’exposer la nature exacte des griefs qu’il y aurait lieu de retenir dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale au regard du prescrit des dispositions invoquées. Au contraire, elles poursuivent une condamnation de la Région sur pied des articles 1382 et 1383 du Code civil compte tenu des émissions globales de la Belgique et postulent que sa contribution à la réparation en nature soit ensuite déterminée au terme d’une coordination avec les autres défenderesses, quitte à ce qu’elle y échappe « au vu des résultats qu’elle aura atteints sur son territoire ».
Cette argumentation illustre sans équivoque que les parties demanderesses ne démontrent à aucun moment l’existence d’une faute propre dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale (voir ci-dessous, point A, « La faute »), puisqu’elles n’excluent pas qu’au final, celle-ci ne soit pas tenue de réduire les émissions de GES à partir de son territoire.
111. Pas plus qu’« un moyen d’échapper à sa responsabilité », la répartition des compétences ne peut être un moyen d’échapper à l’obligation faite aux parties demanderesses, pour fonder une condamnation fondée sur les dispositions invoquées, de démontrer in concreto l’existence d’une faute ou d’un manquement dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale. La circonstance que les parties demanderesses poursuivent un réparation en nature n’affecte en rien cette obligation.
112. Les parties demanderesses ont fait le choix de ne pas diriger spécifiquement leur action contre chacune des demanderesses, mais sollicitent au contraire que leur responsabilité collective soit retenue et qu’elles déterminent ensuite elles-mêmes, dans un second temps, la contribution de chacune dans l’exécution de la condamnation à intervenir.
Cette manière de procéder méconnaît les exigences des articles 1382 et 1383 du Code civil, qui exigent qu’une condamnation soit fondée sur la reconnaissance préalable d’une faute dans le chef de la personne condamnée. La Région de Bruxelles-Capitale n’élude pas sa responsabilité, mais revendique uniquement que celle-ci ne soit engagée qu’au terme de la démonstration concrète d’une faute caractérisée dans son chef, qui fait défaut en l’espèce.
113. Comme développé ci-après, la Région de Bruxelles-Capitale a des compétences limitées. Elle ne peut ni modifier la Constitution, ni la loi spéciale. Elle ne peut pas forcer les autres régions ou l’Etat fédéral à souscrire à des engagements de quelque nature que ce soit. Elle n’agit que dans le cadre des compétences que lui attribue la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises et ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir agi en-dehors de ces compétences.
110 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 479.
L’injonction, formulée sous forme de demande de condamnation collective, sollicitée par les parties demanderesses ne saurait aboutir à l’existence d’une obligation individualisée dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale, cette dernière étant sans compétence pour exiger quoi que ce soit de la part des autres parties défenderesses.
C’est en ce sens que le PNEC (dossier, pièce 8, p. 20) prévoit l’engagement du Gouvernement régional « à plaider auprès du Gouvernement fédéral pour:
− Faire évoluer le système des voitures de société en lien avec la thématique « Mobility as a service ».
− (A très court terme) la normalisation du taux de TVA pour le charbon (de 12% à 21%) dans le cadre de la réduction des subsides (indirects) aux énergies fossiles inscrite dans le Pacte énergétique ;
− La mise en place d’un système de tarification du carbone (de manière à internaliser les dommages induits par les émissions de gaz à effet de serre et d’orienter les agents économiques vers les solutions les moins carbonées possibles). A défaut, le Gouvernement défendra l’augmentation progressive des accises sur les carburants ;
− La mise en place d’une taxe sur le kérosène dans le secteur du transport aérien ;
− La diminution de la TVA sur les services de réparation ;
− La diminution de la TVA pour les opérations de démolition/reconstruction, étant entendu que les politiques régionales veilleront en priorité à quantifier le coût environnemental de ses opérations pour en évaluer la pertinence ;
− L’adaptation et le renforcement progressif des normes de produit avec à terme l’interdiction de la mise sur le marché des :
▪ Installations de chauffage alimentées au charbon et les installations de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire fonctionnant au mazout ;
▪ Produits électroménagers énergivores ;
▪ Xxxxxxxx dans des bouteilles en plastique, avec en parallèle la mise en place d’un cadre favorisant le recours à la consigne et l’adoption de deux ou trois formats standardisés pour toutes les boissons vendues en Belgique ».
114. Il n’est pas sans intérêt d’observer que cette impossibilité, propre à la responsabilité collective, existe pareillement, mutatis mutandis, à quelque échelle que l’on se situe : par exemple, une action similaire dirigée contre l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne (et contre cette dernière) ne saurait résulter en une condamnation individuelle de chaque Etat membre à atteindre un objectif global fixé à l’échelle de l’Union dans son ensemble, aucun Etat n’étant
en mesure, d’une part, d’atteindre à lui seul cet objectif, ni, d’autre part, d’imposer à d’autres Etats membres qu’ils adoptent les mesures nécessaires.
Or, bien que cet argument ait déjà été soulevé en premières conclusions, les parties demanderesses se refusent à exposer en quoi les mesures prises par la Région de Bruxelles- Capitale seraient en rupture avec les mesures applicables dans d’autres villes, similaires à Bruxelles, au regard de la réduction des émissions de GES.
7.3 PREMIER MOYEN : VIOLATION DES ARTICLES 1382 ET 1383 DU CODE CIVIL
A. LA FAUTE
(i) REMARQUESPRÉALABLES
115. D’une manière générale, il est admis qu’un comportement est jugé fautif soit parce que son auteur viole une norme juridique particulière, soit parce que celui-ci ne respecte pas le principe général de prudence.
En matière de responsabilité des pouvoirs publics plus spécifiquement, la faute consiste soit en un comportement qui s’analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l’autorité normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions, soit, sous réserve d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification, en un comportement qui viole une norme de droit qui impose à l’autorité de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée (111).
Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses (112), il existe, comme nous le verrons ci-dessous, certaines nuances à ces principes généraux lorsqu’il s’agit de mettre en cause la responsabilité de l’Etat dans ses fonctions législatives (113).
116. Il convient également de relever que les parties demanderesses ne soutiennent pas (plus) que la responsabilité extracontractuelle de la Région de Bruxelles-Capitale serait engagée sur la base d’une faute résultant de la violation d’une norme qui s’imposerait à elle ou d’un engagement auquel elle aurait souscrit. Seule une « erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l’autorité normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions » est désormais invoquée (114).
(ii) RESPONSABILITÉ DU LÉGISLATEUR – PRINCIPES
117. Introduction – A titre principal, la Région de Bruxelles-Capitale défend que, en droit belge et plus particulièrement au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, la seule violation du principe général de prudence ne peut constituer, à elle seule, le fondement d’une faute dans
111 F. AUVRAY, « La violation d’un traité est-elle une faute ? Incidence de l’absence d’effet direct sur la responsabilité extracontractuelle de l’Etat », J.T., 2019, p. 25.
112 Conclusions principales des parties demanderesses, pp. 207-209. Les parties demanderesses affirment que le régime de responsabilité civile du pouvoir exécutif et judiciaire sont les mêmes que celui applicable au pouvoir législatif. Cette affirmation n’est soutenue par aucune jurisprudence ni doctrine.
113 Pour un examen approfondi : S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, « La responsabilité du fait de légiférer, vue d’ensemble », in La responsabilité des pouvoirs publics, XXII journées d’études juridiques Xxxx Xxxxx, D. RENDERS (coord.), Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 332-393; X. XXX XXXXXXXXXX, « La responsabilité des pouvoirs publics pour la fonction juridictionnelle et la fonction législative », in : Actualité en droit de la responsabilité, 2010, p. 133. Voy ; égal. « Responsabilité de l’État pour les actes du législateur », Doc. parl., Chambre, Doc. 52-1627/001.
114 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 433.
le chef du législateur et ne peut dès lors engager sa responsabilité civile sur la base de l’article 1382 du Code civil.
118. Contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses, dans l’exercice de leurs compétences, la responsabilité du législateur n’est pas engagée de la même manière que celle de l’exécutif et des autres pouvoirs publics en général. En effet, ces derniers n’ont de compétences que celles que leur attribue la loi et la Constitution. Le contrôle de l’exercice de leurs compétences peut donc se faire dans un contexte légal strictement établi, en toute hypothèse. Il n’en va pas de même pour le pouvoir législatif, qui agit de manière souveraine, à deux exceptions près : le respect de la Constitution et de la loi spéciale, d’une part, et le respect des normes et engagements internationaux directement applicables, d’autre part.
119. Comme relevé plus haut, au demeurant, la responsabilité du pouvoir exécutif dans l’exercice de sa fonction réglementaire s’apprécie de manière identique, mutatis mutandis, à celle du législateur : lorsque la compétence de l’administration est complètement liée, c’est-à-dire qu’elle ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation concernant l’exercice de cette compétence, la méconnaissance de celle-ci implique nécessairement une responsabilité, pour autant naturellement que toutes les autres conditions de cette responsabilité soient remplies (115).
Au contraire, si l’administration agit dans les limites d’un pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu par la loi, la Constitution ou une norme de droit international directement applicable, le pouvoir judiciaire ne peut substituer son appréciation à celle de l’administration, mais peut seulement vérifier si celle-ci n’a pas commis une faute dans l’exercice de ce pouvoir (116) : « le pouvoir judiciaire est compétent tant pour prévenir que pour indemniser une atteinte irrégulière portée à un droit subjectif par l’administration dans l’exercice de sa compétence non liée mais qu’à ce propos il ne peut priver l’administration de sa liberté d’action et ni se substituer à celle-ci » (117).
Selon la Cour de cassation, « sous réserve de l'existence d'une erreur invincible ou d'une autre cause d'exonération de responsabilité, l'autorité administrative commet une faute lorsqu'elle prend ou approuve un règlement qui méconnaît soit une disposition de droit international ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne, soit des règles constitutionnelles ou légales lui imposant de s'abstenir ou d'agir de manière déterminée, de sorte qu'elle engage sa responsabilité civile si cette faute est cause d'un dommage » (118).
La responsabilité pour violation du devoir général de prudence du pouvoir exécutif s’apprécie donc exclusivement, par hypothèse, dans le contexte des habilitations dont il dispose. La Cour de cassation (et la Cour constitutionnelle) ont pu ainsi condamner l’abstention fautive, de la
115 Cass. 16 janvier 2006.
116 X. XXX XXXXXXXXXX, « La responsabilité extracontractuelle de l’Etat appliquée au pouvoir législatif », A.P.T., 2012/1, p. 13.
117 Cass., 4 mars 2004.
118 Cass., 14 janvier 2000.
part du pouvoir exécutif, de prendre les mesures d’exécutions prescrites par la loi, le décret ou l’ordonnance (119).
En outre et comme déjà relevé, il n’existe pas en l’espèce d’habilitation au Gouvernement bruxellois de prendre des mesures de nature à rencontrer les demandes formulées devant Votre Tribunal. Une intervention du législateur est nécessaire, comme en atteste le projet d’ordonnance « climat » actuellement en cours d’élaboration.
120. La possibilité de mettre en cause l’Etat du fait des actes ou des omissions du pouvoir législatif , initialement exclue en droit belge (120), a été reconnue par la Cour de cassation au terme d’une évolution qui a connu ses derniers développements dans une jurisprudence récente, contrairement à la pratique déjà plus établie en matière de responsabilité d es pouvoirs exécutif
(121) et judiciaire (122). Cette évolution a également été influencée par la loi du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage, devenue Cour constitutionnelle, qui a instauré un contrôle de constitutionnalité des actes législatifs.
Cette évolution a été principalement marquée par plusieurs arrêts prononcés depuis 2006 et peut, sans prétendre à l’exhaustivité sur ce sujet éminemment commenté, être synthétisée comme suit.
121. Un premier arrêt du 1er juin 2006, rendu en audience plénière, a affirmé le principe d’absence d’immunité du législateur au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, dans le cadre d’un litige mettant en cause le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les sectes :
« Les principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir législatif et des parlementaires n’impliquent pas que l’Etat serait, d’une manière générale, soustrait à son obligation d’indemniser le dommage causé à autrui par une faute du Parlement » (123).
Ce principe a ensuite été décliné dans plusieurs arrêts, qui en ont précisé la portée.
119 Cass., 24 avril 1971, Pas., 1971, I, p. 752 et concl. proc. gén. X. XXXXX, X.X.,1972, p. 689 et note PH. XXXXXXXX; Cass., 27 mars 2003, Pas., 2003, p. 673; X. XXXXXXXXX, X. XXXXXXXXXX, X. DE CONCINCK et X. XXXXXX, « Chapitre 3 –
Responsabilité des pouvoirs publics dans la fonction de légiférer et de réglementer », in La responsabilité civile, Xxxxxxxxx,
Xxxxxxx, 0000, nr. 753; X. XXX XXXXXXXXXX, “C. – la faute appréciée selon la nature de l’activité des pouvoirs publics”, in
Tome II – Les obligations, Xxxxxxxxx, Xxxxxxxx, 0000, nr. 861.
120 Cass., 27 juin 1845, Pas., 1845, I, p. 392. X. XXXXXXX, Principes de droit civil, t. XX, Bruxelles, Bruylant, 1876, p. 438, n° 418.
121 Depuis l’arrêt La Flandria, Cass. 5 novembre 1920, Pas. 1920, I, p. 193, avec les conclusions de l’Avocat général X.
XXXXXXXX; égal. Cass., 7 mars 1963, Pas., 1963, I, p. 744.
122 Cass. 19 décembre 1991, Arr. Cass. 1991-92, p. 364 (le premier arrêt Anca).
123 Cass., 1er juin 2006, J.T., 2006, pp. 461 et s. et obs. S. XXX XXXXXXXXXXXXXX ; R.W., 2006-2007, pp. 213 et s. avec les concl. de X. XX XXXXX et la note de X. XXX XXXXXXX, « De aansprakelijkheid van de Staat voor fouten van het Parlement : wel in de uitoefening van de wetgevende activiteit, maar niet voor de werkzaamheden van een parlementaire onderzoekscommissie », T.B.P., 2006/7, pp. 434 et s. et note X. XXXXXX, « Overheidsaansprakelijkheid voor een fout van het Parlement na het “sektenarrest” van het Hof van cassatie ».
122. L’arrêt Xxxxxxx Xxxx du 28 septembre 2006, précédé des conclusions du Premier Avocat général XXXXXXXX, constitue la véritable consécration jurisprudentielle de la responsabilité extracontractuelle du législateur (124):
« Saisi d’une demande tendant à la réparation d’un dommage causé par une atteinte fautive à un droit consacré par une norme supérieure imposant une obligation à l’Etat, un tribunal de l’ordre judiciaire a le pouvoir de contrôler si le pouvoir législatif a légiféré de manière adéquate ou suffisante pour permettre à l’Etat de respecter cette obligation, alors même que la norme qui la prescrit laisse au législateur un pouvoir d’appréciation quant aux moyens à mettre en œuvre pour en assurer le respect » (nous soulignons).
La norme supérieure invoquée était, en l’espèce, l’article 6.1. de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH ») (dépassement du délai raisonnable par manque de moyens mis à la disposition du pouvoir judiciaire).
123. La Cour de cassation a ensuite étendu cette hypothèse à la violation de règles de droit européen, dans le prolongement de la jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment de ses arrêts Francovich (125), Brasserie du Pêcheur et Factortame
(126) aux termes de laquelle un Etat membre peut se voir condamner en cas de transposition incomplète, incorrecte ou inexistante d’un acte de droit dérivé (127). Dans son arrêt du 30 avril 2015, la Cour de cassation a ainsi reconnu que la méconnaissance par la loi du droit de l’Union pouvait être considérée comme fautive au sens de l’article 1382 du Code civil, et engendrer de la sorte un devoir de réparation dans le chef de l’autorité :
« Sous réserve de l’existence d’une erreur invincible ou d’une autre cause d’exonération de la responsabilité, le législateur commet une faute lorsqu’il prend une règlementation qui méconnaît une norme de droit communautaire lui imposant de s’abstenir d’agir de manière déterminée, de sorte qu’il engage sa responsabilité civile si cette faute est cause d’un dommage » (nous soulignons) (128).
124. L’arrêt de la Cour de cassation du 10 septembre 2010 vise l’hypothèse d’une violation de la Constitution par le législateur : selon la Cour, sur la base d’un constat d’inconstitutionnalité sanctionné par la Cour constitutionnelle, le juge du fond doit encore déterminer si cette violation
124 Cass., 28 septembre 2006, J.T., 2006, pp. 594 et s. avec les conclusions du Premier Avocat général XXXXXXXX; R.W., 2006- 2007, pp. 1124 et s. et note X. XXX XXXXXXX, « De aansprakelijkheid van de Staat voor het foutieve verzuim zijn wetgevende bevoegdheid uit te oefenen »; X. XXXXXXXXXXX, « Du réflexe salutaire à l’ivresse du Pouvoir – Premières réflexions sur les arrêts de la Cour de cassation Église universelle du Royaume de Dieu et F.J. », J.L.M.B., 2006, pp. 1554 et s. ; X. XXXXXX et
X. XXXXXXX, « La responsabilité des pouvoirs publics. Le pouvoir législatif mis en cause : révolution ou évolution? », J.L.M.B.,
2006, pp. 1526 et s.; X. XXXXX, op.cit., pp. 440 et s.; X. XXX XXXXXXX, « De aansprakelijkheid van de Staat, de Gewesten et de Gemeenschappen voor onrechtmatige wetgeving », T.V.W., 2006/4, pp. 401 et s. ; X. XXXX, « Het Hof van Cassatie over de fout van overheidsorganen : streng, strenger, strengst… », T.B.P., 2007, pp. 547 et s.
125 CJUE, C-6-90 et C-9/90, 19 novembre 1991
126 CJUE, aff. jointes C-46/93 et C-48/93, 5 mars 1996.
127 Par exemple Cass., 28 septembre 2001, T.B.H, 2013, pp. 82 et s.
128 Cass., 30 avril 2015, R.G. n° C.12.06.37.F.
de la Constitution constitue effectivement un comportement fautif du législateur (129). Contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses, cet arrêt ne peut pas être interprété comme signifiant que « Si le juge doit apprécier si en l’espèce et malgré une inconstitutionnalité constatée par la juridiction constitutionnelle, l’Etat a agi comme le ferait un législateur normalement prudent et diligent, a fortiori, il doit évidemment le faire lorsqu’il n’est pas nécessaire de constater une inconstitutionnalité pour établir un comportement fautif » (130).
Cette interprétation contredit les termes de l’arrêt du 10 septembre 2010, selon lequel un constat d’inconstitutionnalité par la Cour constitutionnelle ne suffit pas à établir une faute dans le chef du législateur :
« 3. La décision prise par la Cour constitutionnelle dans le cadre d’une question préjudicielle, qu’une disposition légale est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution n’implique pas encore qu’il est établi que le législateur a commis une faute au sens de l’article 1382 du Code civil.
4. La responsabilité du législateur pour avoir adopté une législation fautive requiert une appréciation propre du juge saisi de la demande de condamner l’État sur la base d’un acte illicite. Le simple renvoi à un arrêt de la Cour constitutionnelle qui a décelé lors d’une question préjudicielle une contrariété entre la loi et la Constitution sur la base de l’état du droit au moment où elle a statué ne suffit pas comme appréciation propre » (131).
Comme l’observe S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, « L’enseignement certain que l’on peut tirer de l’arrêt du 10 septembre 2010, est le rejet de l’assimilation systématique entre, d’une part, la violation d’une règle constitutionnelle par un acte législatif ou une abstention de légiférer, et, d’autre part, l’existence d’une faute dans le chef de l’État législateur » (132) ; pour autant, « la définition "canonique" de la faute à double volet – "violation d’une norme supérieure imposant d’agir ou de s’abstenir d’agir dans un sens déterminé" ou violation de la norme générale de prudence (…) – n’apparaît pas explicitement dans l’arrêt du 10 septembre 2010 » (133).
La violation d’une règle supralégislative demeure donc une condition sine qua non pour engager la responsabilité de l’Etat législateur au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
La Cour d’appel de Bruxelles, par arrêt du 4 juillet 2002, a ainsi rappelé que « Saisi d’une demande tendant à la réparation d’un dommage causé par une atteinte fautive à un droit consacré par une norme supérieure imposant une obligation à l’Etat, un tribunal de l’ordre judiciaire a le pouvoir de contrôler si le pouvoir législatif a légiféré de manière adéquate ou suffisante pour permettre à l’Etat de respecter cette obligation, alors même que la norme qui
129 X. XXXX, « Overheidsaansprakelijkheid voor fouten van de wetgever wegens schending van de Grondwet », in X. XXXXXXX et al. (dir.), Liège, Strasbourg, Bruxelles : parcours des droits de l’Homme. Liber amicorum Xxxxxx Xxxxxxxx, Xxxxx, Anthemis, 2010, p. 852.
130 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, p. 223. 131 Cass., 10 septembre 2010, F.09.0042.N/2, nous soulignons. 132 Idem, p. 366 et références citées.
133 Idem, pp. 367-368.
la prescrit laisse au législateur un pouvoir d’appréciation quant aux moyens à mettre en œuvre pour en assurer le respect » (134).
La Cour d’appel a donc vérifié le respect du devoir général de diligence et de prudence pour apprécier la faute du pouvoir législatif dans la mesure nécessaire à la vérification de l’atteinte à l’objectif de légalité correspondant à la norme supérieure (135).
125. Enfin, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 9 février 2017, que l’existence d’une faute dans le chef de l’Etat nécessite la violation d’une norme de droit international avec effet direct (136).
Deux sociétés qui exploitaient des barges sur le Danube et dont l’activité avait été mise à l’arrêt suite aux bombardements par les forces armées de l’OTAN, par décision du Conseil atlantique du 30 juin 1999 à laquelle avait pris part l’Etat belge (par abstention), réclamaient de ce dernier la réparation de leur dommage sur la base de l’article 1382 du Code civil.
Il n’était pas contesté que la règle prohibant le recours à la menace ou l'emploi de la force dans les relations internationales, telle qu'elle est codifiée à l'article 2, § 4, de la Charte des Nations Unies, est dépourvue d'effet direct, ni qu'une telle règle ne peut être invoquée directement par un particulier devant les tribunaux.
Les sociétés demanderesses soutenaient toutefois que « tout comportement imprudent peut être qualifié de faute, même sans violation d'une règle de droit explicite, mais a fortiori si une règle de droit a été violée ; qu’il n'est pas requis que la négligence ou le défaut de prévoyance commis par l'État à l'égard d'un étranger ou d'une société étrangère soit en soi constitutif de violation d'une règle internationale pour que sa responsabilité soit engagée ». Les demanderesses ajoutaient que l'État belge avait agi en connaissance de cause des circonstances du fait internationalement illicite.
La Cour de cassation, sur avis conforme du Premier Avocat général XXXXXX, n’a pas suivi ce raisonnement et a jugé que le moyen « qui soutient que l’existence de pareille faute déduite de la violation d’une norme d’un traité international ne requiert pas que cette norme ait un effet direct en droit interne, manque en droit ».
Contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses, la faute déduite de la violation d’une norme de nature internationale requiert donc que cette dernière soit pourvue d’un effet direct.
134 Cour d’appel de Xxxxxxxxx, 0 juillet 2002, J.L.M.B., 2002, 11184, nous soulignons.
135 X. XXX XXXXXXXXXX, « La responsabilité des pouvoirs publics pour la fonction juridictionnelle et la fonction législative », in : Actualité en droit de la responsabilité, 2010, p. 141.
136 Cass., arrêt n° F-20170209-11 (C.13.058.F) du 9 février 2017 ; F. AUVRAY, op. cit., J.T., 2019, p. 25.
(iii) VIOLATION DU DEVOIR GÉNÉRAL DE XXXXXXXX – L’ERREUR DE CONDUITE
126. Pour autant, les parties demanderesses n’invoquent pas (plus) la violation d’une norme de droit international ou constitutionnel au titre de faute au sens de l’article 1382 du Code civil, mais fondent uniquement leur moyen sur la violation d’un devoir général de prudence.
Or, la Cour de cassation n’a jamais consacré la possibilité d’engager la responsabilité civile de l’Etat législateur en l’absence de violation d’une norme constitutionnelle ou internationale à effet direct.
• À titre principal : incompétence des cours et tribunaux
127. En dehors des deux hypothèses précitées (violation d’une règle constitutionnelle ou internationale avec effet direct) et comme en l’espèce, le législateur agit en opportunité.
La fonction particulière du législateur dans l’équilibre des pouvoirs établis par la Constitution, la manière dont il est composé, sa qualité de représentant souverain de la nation, les choix politiques et budgétaires qui lui incombent, l’application des programmes des gouvernements sinon des partis politiques, le contrôle que le parlement exerce sur l’exécutif rendent spécialement délicate l’appréciation par le pouvoir judiciaire d’une faute qui serait imputée à l’Etat législateur pour manquement à l’obligation de diligence (137).
128. À ce sujet, le Premier Avocat général XXXXXXXX écrit, dans ses conclusions précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 :
« Quand le législateur s’abstient de légiférer sans qu’aucune règle quelconque l’incite à le faire, il me paraît difficile de retenir la responsabilité du législateur. Les cours et tribunaux risquent dans ce cas de s’immiscer dans l’exécution de la fonction législative » (138).
Si l’on admettait que le juge peut vérifier le respect du devoir général de prudence par le législateur, son pouvoir de contrôle ne serait plus guidé par le critère objectif que constituent les normes supérieures de référence. Il s’agirait en effet pour le juge de vérifier si le législateur s’est comporté en bon père de famille. Or, de telles appréciations sont manifestement incompatibles avec le principe de la séparation des pouvoirs. Ainsi, en vérifiant le respect par le législateur du devoir général de prudence, le juge se verrait habilité à substituer sa propre appréciation de ce qu’il considérerait comme le comportement ad hoc à adopter par le législateur face à une situation.
137 X. XXX XXXXXXXXXX, « La responsabilité des pouvoirs publics pour la fonction juridictionnelle et la fonction législative », in : Actualité en droit de la responsabilité, 2010, p. 139 ; « Responsabilité de l’État pour les actes du législateur », Doc. parl., Chambre, Doc. 52-1627/001, p. 43.
138 Conclusions du M. le Premier Avocat général Xxxx-Xxxxxxxx XXXXXXXX, J.T., 2006, p. 599, nous soulignons.
129. Comme relevé ci-dessus, « la définition "canonique" de la faute à double volet – "violation d’une norme supérieure imposant d’agir ou de s’abstenir d’agir dans un sens déterminé" ou violation de la norme générale de prudence (…) – n’apparaît pas explicitement dans l’arrêt du
10 septembre 2010 [précité] » (139) ni plus généralement, faut-il le préciser, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, qui n’a à ce jour jamais consacré la possibilité, pour le juge, d’établir l’existence d’une faute d’une assemblée législative sur la base du seul standard de comportement du législateur « normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances », en l’absence de toute violation d’une norme supérieure.
La violation d’une norme supérieure est donc une condition nécessaire pour que soit reconnue une faute dans le chef du législateur (140). À ce jour, la jurisprudence de la Cour de cassation
« ne dit mot sur la question de savoir si la responsabilité de l’État-législateur pourrait être engagée hors l’hypothèse de la méconnaissance d’une norme supérieure, en raison d’un “pur manquement” au devoir de prudence » (141).
130. Avis du Premier Avocat général XXXXXXXX – Dans ses conclusions précitées précédant l’arrêt du 28 septembre 2006, le Premier Avocat général XXXXXXXX complétait toutefois son raisonnement comme suit :
« Néanmoins il me paraît qu'on peut dire que le législateur qui omet d'agir lorsqu'il y a péril, n'agit pas en bon père de famille. Je pense notamment à l'abstention d'agir lorsque le pays est menacé par des risques sur le plan de la sécurité, de la santé publique, de l'hygiène, de l'atteinte à l'environnement, etc.
J'irai plus loin et dirai, dans ce même ordre d'idées, que le législateur qui omet de prendre les mesures qui s'imposent afin de garantir à ses sujets les droits et libertés constitutionnels et les droits et libertés de la Convention européenne des droits de l'homme (…) ne se conduit pas comme on peut l'attendre d'un législateur agissant en bon père de famille.
Je me résume : j'incline à penser que sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, les cours et tribunaux du pouvoir judiciaire peuvent sanctionner le pouvoir législatif par une condamnation au paiement de dommages-intérêts quand ce législateur ne se conduit pas en bon père de famille, c'est-à-dire comme un législateur normalement prudent mis dans les circonstances concrètes identiques et disposant de la même marge d'action politique » (nous soulignons) (142).
131. Analyse et portée de l’avis du Premier Avocat général XXXXXXXX – Il convient de préciser que cette opinion constitue en quelque sorte une parenthèse dans l’avis du Premier Avocat général,
139 op. cit., pp. 367-368.
140 J. XXX XXXXXXXXXXX et X. XXXXXXXXX, « La responsabilité du législateur dans l’arriéré judiciaire », J.T., 2007, p. 434 ;
X. XXX XXXXXXX, op. cit., R.W., 2006-2007, p. 223 ; « Responsabilité de l’État pour les actes du législateur », Doc. parl., Chambre, Doc. 52-1627/001, pp. 6-7 ; S. XXX XXXXXXXXXXXXX, op. cit.
141 S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, op. cit., p. 389.
142 Conclusions du M. le Premier Avocat général Xxxx-Xxxxxxxx XXXXXXXX, J.T., 2006, p. 599, nous soulignons.
dès lors que le pourvoi dont il avait à connaître reposait sur une violation de l’article 6.1 de la CEDH, dont la violation par la Belgique avait été dénoncée et reconnue à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme.
L’arrêt de la Cour qui a suivi n’a dès lors pas pris position sur cet aspect spécifique de l’avis (143), qui demeure controversé. Ainsi, selon X. XXX XXXXXXXXXX :
« Pour le surplus, on ne saurait admettre, à notre avis, une appréciation généralisée de l’activité du législateur en fonction du critère de la prudence et de la diligence, pour des raisons tenant à la séparation des pouvoirs, au rôle particulier du législateur dans notre système constitutionnel, à la manière dont il est composé et à la fonction fondamentale du pouvoir judiciaire qui consiste à appliquer la loi et non à en juger la justification ou les mérites.
Ce principe doit s’appliquer, pensons-nous, même si le législateur juge opportun de ne pas intervenir, lorsqu’il n’y est pas obligé par une norme supérieure s’imposant à lui, voire, selon certaines opinions, par une loi non abrogée antérieurement promulguée (…).
Toute intervention du législateur est en effet le fruit d’arbitrages entre des considérations politiques, économiques et sociales, d’appréciations d’opportunité, d’incidences budgétaires, d’application du programme des gouvernements sinon des partis politiques qui relèvent spécifiquement de son activité.
La situation est comparable, a fortiori, à l’interdiction pour le pouvoir judiciaire de se prononcer sur l’opportunité de décisions administratives, consacrée par la jurisprudence précitée de la Cour de cassation (…).
Dans ses conclusions précitées précédant l’arrêt du 28 septembre 2006, le Procureur général Xxxxxxxx a exprimé le même point de vue en principe, mais il a néanmoins envisagé une exception : le pouvoir judiciaire pourrait sanctionner une abstention fautive du législateur en cas de péril, par exemple sur le plan de la sécurité, de la santé publique, de l’hygiène ou de l’atteinte à l’environnement (…). A notre avis, cependant cette réserve serait difficilement admissible dans l’état actuel de notre droit constitutionnel (…). L’opportunité pour le législateur d’intervenir en considération d’intérêts publics, même supérieurs, fait partie du pouvoir discrétionnaire de celui-ci » (144).
143 Selon la Cour : « Saisi d'une demande tendant à la réparation d'un dommage causé par une atteinte fautive à un droit consacré par une norme supérieure imposant une obligation à l'Etat, un tribunal de l'ordre judiciaire a le pouvoir de contrôler si le pouvoir législatif a légiféré de manière adéquate ou suffisante pour permettre à l'Etat de respecter cette obligation, lors même que la norme qui la prescrit laisse au législateur un pouvoir d'appréciation quant aux moyens à mettre en œuvre pour en assurer le respect. (…) En déclarant le demandeur responsable envers la défenderesse en raison de la faute consistant à avoir « omis de légiférer afin de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires pour lui permettre d'assurer efficacement le service public de la justice, dans le respect notamment de l'article 6.1 de la Convention [...] de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », l'arrêt ne méconnaît pas le principe général du droit et ne viole aucune des dispositions que vise le moyen, en cette branche » ; S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, op. cit., p. 379.
144 X. XXX XXXXXXXXXX, « La responsabilité extracontractuelle de l’Etat appliquée au pouvoir législatif », A.P.T., 2012/1, p. 25.
X. XXXXX considère également qu’« Un contrôle aussi étendu ne saurait s’appuyer sur le seul article 144 de la Constitution qui confie la protection des droits subjectifs civils à la vigilance du pouvoir judiciaire. Il se heurte à la séparation des pouvoirs et au statut constitutionnel du législateur dans un régime représentatif qui implique que le législateur répond politiquement, à des intervalles réguliers, de ses agissements devant le corps électoral et, juridiquement, devant une juridiction instituée à cet effet par le constituant, la Cour d’arbitrage » (145).
X. XXXXXX abonde dans le même sens : « Il convient toutefois de relever que si on admet que le juge peut vérifier le respect du devoir général de prudence par le législateur, son pouvoir de contrôle ne serait plus guidé par le critère objectif que constituent les normes supérieures de référence. Il s’agirait en effet pour le juge de la responsabilité de vérifier si le législateur s’est comporté en "bon père de famille". Or, on est en droit de se demander si de telles appréciations
— somme toute fort subjectives — sont compatibles avec le principe de la séparation des Pouvoirs. Ainsi, en vérifiant le respect par le législateur du devoir général de prudence, le juge pourrait-il, le cas échéant, mettre la responsabilité du législateur en cause parce que celui-ci n’aurait pas — contrairement à ce qu’aurait fait (aux yeux du juge) un bon père de famille — accordé suffisamment de crédits budgétaires pour assurer la mise en œuvre d’une politique donnée? » (146).
132. On le voit, le passage précité de l’avis du Premier Avocat général XXXXXXXX formulé dans ses conclusions précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 ne crée pas l’unanimité, car il touche un principe sensible de l’organisation institutionnelle, à savoir les prérogatives respectives et exclusives des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Comme le relève S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, la Cour de cassation n’a d’ailleurs pas affirmé, dans l’arrêt du 28 septembre 2006 (ni ultérieurement), « de manière explicite ou implicite, que la responsabilité de l’Etat pourrait être recherchée hors l’hypothèse de la violation d’une norme supérieure identifiable, en cas de "pur" manquement du législateur au devoir de prudence qui s’impose à lui » (147). Cet auteur ajoute : « Disons-le sans ambages : on entre ici dans le registre d’une pure spéculation, nourrie – faiblement – par quelque analogie avec le contentieux de la réparation des dommages causés par d’autres autorités publiques » (148).
133. Il résulte de la jurisprudence et de la doctrine précitée qu’en tout état de cause et en l’absence de violation d’une norme supralégislative, l’appréciation par les cours et tribunaux du comportement d’un législateur au regard d’un standard du « législateur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances » côtoie « de très près une frontière que le principe de la séparation des pouvoirs (…) interdit de franchir » (149) et qui n’a, à ce jour, pas été franchie par la Xxxx xx xxxxxxxxx.
000 X. XXXXX, op. cit., p. 441.
146 X. XXXXXX, op. cit., p. 406.
147 S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, op. cit., p. 379.
148 Idem, p. 373.
149 Idem, p. 380.
134. À titre principal, en l’espèce, la Région de Bruxelles-Capitale défend donc que la violation du devoir de prudence dans le chef du législateur ne peut être invoquée indépendamment de l’existence d’une norme supérieure que le législateur doit respecter et considère que l’adoption de mesures nécessaires et suffisantes pour permettre une réduction des émissions de GES à partir de son territoire au regard des objectifs définis par la communauté (scientifique) internationale, relève de l’appréciation exclusive de son Parlement à qui il incombe d’avoir égard à l’équilibre « entre diverses considérations politiques, économiques et sociales, choix d’opportunité, contraintes (ou possibilités) budgétaires et l’exécution du programme gouvernemental, voire du programme de certains partis politiques » (150).
La reconnaissance d’une faute dans son chef, telle que la dénoncent les parties demanderesses, au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, indépendamment de toute norme supérieure et uniquement fondée sur ce qu’il y aurait lieu de considérer comme une violation du devoir général de prudence, est incompatible avec le principe de séparation des pouvoirs et l’article 144 de la Constitution.
• À titre subsidiaire : la Région de Bruxelles-Capitale a agi comme une autorité publique normalement prudente et diligente
135. Toutefois, les parties demanderesses dénoncent une faute du législateur bruxellois et sollicitent de Votre Tribunal qu’il adresse à ce législateur des injonctions (auxquelles le Gouvernement bruxellois ne saurait, à lui seul, donner une suite utile), en dehors de toute obligation découlant de la Constitution, de la loi spéciale ou d’une norme de droit international d’effet direct.
Les parties demanderesses soutiennent en effet que la Région de Bruxelles-Capitale ne respecterait pas son obligation de protection des personnes vivant sur son territoire, du fait qu’elle ne prendrait pas les mesures reconnues nécessaires par la communauté internationale et par le GIEC pour éviter un réchauffement climatique dangereux. Selon les parties demanderesses, ce comportement constitue une faute dans le chef de la Région de Bruxelles- Capitale au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, en ce qu’il s’agit d’une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l’autorité normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions (151).
Les parties demanderesses soutiennent que le comportement normalement prudent et diligent de la Région de Bruxelles-Capitale, dans la lutte contre le réchauffement climatique, consisterait à mettre en œuvre les mesures juridiques et matérielles qui permettraient à la Belgique d’éviter un réchauffement dangereux et/ou de respecter les engagements pris dans l’Accord de Paris, à savoir « de contenir l’élévation de la température de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et « de poursuivre les efforts pour
150 Doc. parl., Chambre, Doc. 52-1627/001, p. 43.
151 S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, op. cit., p. 380.
limiter la hausse des températures à 1,5°C, ce qui permettrait de réduire largement les risques et les conséquences du changement climatique ».
136. Dans ce contexte, s’il fallait néanmoins reconnaître aux cours et tribunaux, comme le suggère le Premier Avocat général XXXXXXXX dans son avis précité, la possibilité de sanctionner l’abstention du législateur en l’absence de toute violation d’une norme de droit international ou constitutionnelle (quod non), il conviendrait en l’espèce, d’établir l’existence d’un manquement à l’obligation générale de prudence et de diligence dans le chef de la Région de Bruxelles- Capitale au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil invoqués par les parties demanderesses.
À ce titre, il y aurait lieu d’avoir égard aux « circonstances concrètes » et à la « marge d’action politique » de la Région de Bruxelles-Capitale au regard des risques décrits dans les instruments de droit international (notamment la CCNUCC, l’accord de Copenhague, les accords de Caucun, la déclaration de Durban, l’amendement de Doha et l’accord de Paris) et rapports scientifiques (essentiellement du GIEC), et non au regard des articles 2 et 8 de la CEDH et des articles 6 et 24 de la Convention des droits de l’enfant, dont la violation n’est pas alléguée en l’espèce en tant que faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
137. En toute hypothèse, et contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses, il ne saurait être reproché à la Région de Bruxelles-Capitale de n’avoir pas adopté de mesures en vue de réduire les émissions de GES sur son territoire.
Comme exposé ci-après, les premières mesures adoptées en Région de Bruxelles-Capitale dans ce cadre remontent à la fin des années 1990, et ont progressivement pris de l’ampleur depuis 2004 pour atteindre une réduction significative des émissions, conforme aux objectifs et engagements auxquels la Région a souscrit.
La prise de conscience de la réalité et des conséquences du réchauffement climatique n’est apparue que progressivement dans l’opinion publique, à partir des années 1980. Elle a connu d’importantes évolutions, suite à l’adoption de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto notamment, et n’a pris la place qu’elle connaît aujourd’hui dans le débat public que depuis quelques années (comme en atteste l’introduction de la présente action en juin 2015).
138. Selon une définition classique, « Est constitutif de faute tout manquement, si minime soit-il, volontaire ou involontaire, par acte ou par omission, à une norme de conduite préexistante . Cette norme de conduite a sa source soit dans la loi ou les règlements (droit pénal, droit civil, droit administratif…), - édictant des règles de vie sociale, de morale, de convenances ou technique, non formulées en textes législatifs : loyauté, bienséance, sang-froid, prudence, diligence, vigilance, habileté, déontologie professionnelle…, le tout selon le critère de l’homme normal de l’époque, du milieu, de la région » (152).
152 X. XXXXX et D. XXXXXXX, « Examen de jurisprudence (1939 à 1948). La responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle (Code civil, art. 1382 et s.) », R.C.J.B., 1949, p. 57, n° 15.
Le comportement d’un individu ou d’un groupe d’individus (ou, en l’espèce, de la Région de Bruxelles-Capitale) doit donc être comparé, pour reprendre les termes du Premier Avocat général XXXXXXXX, « à celui du bon père de famille replacé dans une situation similaire, dans les mêmes conditions ou dans les mêmes circonstances de fait, lieu, temps, urgence, difficulté de la tâche exercée, etc. sans céder à la tentation de juger le comportement dommageable a posteriori, en fonction d’éléments d’information ou d’évènements postérieurs » (153).
L’appréciation, par Votre Tribunal, du comportement de bon père de famille de la Région de Bruxelles-Capitale, à supposer qu’il soit admissible (quod non), devrait donc prendre en considération ce comportement au regard des standards admissibles à chaque époque, et non au regard des critères tels qu’ils apparaissent aujourd’hui.
Depuis plusieurs années, le Gouvernement bruxellois a approuvé différents plans stratégiques
(154) et adopté des arrêtés destinés (essentiellement ou incidemment) à réduire les émissions de GES. Or, les parties requérantes n’ont jamais contesté ces décisions et s’abstiennent de le faire dans le contexte de la présente action, en se contentant de les déclarer « insuffisantes ».
139. Le grief formulé par les parties demanderesses consiste en réalité à dénoncer l’insuffisance des mesures adoptées par le législateur bruxellois pour atteindre les objectifs visés par le GIEC. Or, s’il n’est pas contesté que des efforts complémentaires doivent être mis en œuvre, comme l’atteste d’ailleurs la nouvelle déclaration de politique générale du Gouvernement, pour autant, ce constat ne suffit pas en lui-même pour établir que la Région de Bruxelles-Capitale n’aurait pas agi comme une autorité publique normalement prudente et diligente placée dans les mêmes conditions.
Les parties demanderesses se limitent à exposer, à l’appui de la démonstration d’une faute dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale, la connaissance qu’avait cette dernière des risques liés au réchauffement climatique, mais demeurent en défaut de démontrer que son comportement s’est écarté et s’écarte de celui qu’il est raisonnable d’attendre de la part d’une autorité investie de pouvoirs similaires et placée dans les mêmes conditions. A fortiori, les parties demanderesses n’exposent pas (fût-ce de manière générale) les moyens qu’il aurait fallu mettre en œuvre, selon elles, pour atteindre le(s) résultat(s) qu’elles postulent dans leur demande. Tout au plus postulent-elles, de manière abstraite, qu’il serait « possible – techniquement et économiquement et du point de vue européen à politique climatique propre – de faire le nécessaire pour contrer cette menace fort grave qui risque de se réaliser avec une probabilité quasi-certaine » (155).
Un exposé concret, par les parties demanderesses, des mesures à mettre en œuvre par la Région de Bruxelles-Capitale permettrait cependant d’apprécier la mesure dans laquelle le fait de ne pas les avoir adoptées constituerait un écart par rapport au comportement de l’autorité
153 Conclusions du M. le Premier Avocat général Xxxx-Xxxxxxxx XXXXXXXX, J.T., 2006, p. 599.
154 Par exemple, le Plan de gestion des ressources et des déchets – « PGRD » – approuvé par le Gouvernement le 22 novembre 2018), le PNEC (précité), le Plan Air-Climat-Energie (précité), etc.
155 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 451.
normalement prudente et diligente placée dans les mêmes conditions. Or, il convient de constater que la politique climatique mise en œuvre en Région de Bruxelles-Capitale ne s’écarte pas de celle qui peut être observée dans d’autres villes aux caractéristiques similaires en termes de population et de développement économique.
Il est renvoyé, sur ce point, aux mesures décrites au point 7.5.
140. En outre, dans ce contexte, dès 2008, la Région de Bruxelles-Capitale a adhéré à la Convention des Maires pour le Climat et l’Energie (ci-après « la Convention des Maires »), par laquelle des villes et collectivités locales s’engagent volontairement à mettre en œuvre les objectifs de l’Union européenne en matière de climat et d’énergie.
Par la soumission d’un plan d’action volontaire en 2011, la Région de Bruxelles-Capitale s’est engagée à un objectif global de réduction des émissions de CO2 de 20% en 2020 – en 2017, cette réduction atteignait déjà 18% (dossier, pièce 10).
La Région de Bruxelles-Capitale s’inscrit ainsi dans une démarche proactive et collective qui rassemblait, dès 2014, plus de 6.000 signataires et qui rassemble aujourd’hui plus de 7.000 collectivités locales et régionales réparties dans 57 pays.
141. Dans son arrêt du 20 décembre 2019 dans l’affaire Xxxxxxx, le Hoge Raad des Pays-Bas a mis en évidence que, concernant les émissions de CO2 (et non les émissions totales de GES décrites ci-dessus) « par rapport à des Etats membres comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède et la France, l’effort de réduction des Pays-Bas est loin d’être suffisant ». Or, les réductions d’émission de CO2 de ces Etats membres par rapport à l’année de base 1990, comparés à la Belgique, se présentent comme suit (dossier, pièce 10) : Allemagne: 25% Royaume-Uni: 36% ; Danemark : 35% ; Suède : 27% ; France: 14%.
Les émissions de CO2 en Belgique ont diminué de près de 20% depuis 1990. Au cours de la période 2008-2012, cette réduction était d’environ 16% alors que, pour reprendre les termes de la Hoge Raad, « dans les 15 plus grands États membres de l'UE, une réduction des émissions de 11,8% a été réalisée au cours de la même période ».
Par ailleurs, pour la Région de Bruxelles-Capitale, les émissions de CO2 ont diminué de près de 18% depuis 1990. Au cours de la période 2008-2012, cette réduction était d’environ 12%.
Ainsi, la Belgique et la Région de Bruxelles-Capitale font mieux que la France, pourtant prise en exemple par le Hoge Raad néerlandais.
142. En outre, il y a lieu de rappeler que les compétences de la Région de Bruxelles-Capitale regroupent des domaines variés, parmi lesquels le transport, l’économie, l’emploi, le logement ou l’urbanisme, pour n’en nommer que quelques-unes parmi les principales. La déclaration de politique générale 2019-2024 indique que dès le début de la législature, le Gouvernement intégrera une contribution aux priorités climatiques dans les notes d'orientation et lettres d’orientation de chaque ministre et de chaque organisme public et ainsi que dans les objectifs assignés aux fonctionnaires dirigeants.
143. Ainsi, par exemple, au niveau du transport, source importante d’émissions de GES en Région de Bruxelles-Capitale, un nouveau plan régional de mobilité a été adopté définitivement en mars 2020 : le plan Good Move. Elaboré à l’aide d’un processus dynamique et participatif, le plan Good Move définit les objectifs et actions en matière de mobilité de la Région pour la période 2020-2030. Il s’articule autour de six « focus » (programmes d’actions stratégiques transversaux) et prévoit la mise en œuvre d’une cinquantaine de mesures.
Selon son rapport d’incidences sur l’environnement, le plan Good Move pourrait contribuer à une réduction de 24% des véhicules-kilomètres en Région bruxelloise en 2030 par rapport à 2018 (34% pour le trafic de transit). Les objectifs prioritaires du plan Good Move en lien avec l’énergie et le climat sont de diminuer l'usage et la possession automobile, et de verdir le parc roulant (dossier, pièce 11).
144. L’adoption de mesures dans ce secteur, comme dans d’autres, n’est toutefois pas sans présenter des difficultés auxquelles doit faire face la Région de Bruxelles-Capitale.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer que les ordonnance et arrêté instaurant une zoxx xx xxxxxx xxxxxxxxx xx Xxxxxx xx Xxxxxxxxx-Xxxxxxxx xnt fait l’objet de recours en annulation introduits par des particuliers (pour être exact, deux requérants distincts devant la Cour constitutionnelle et le Conseil d’Etat) et fondés sur de prétendues violations de droits fondamentaux, comme le principe d’égalité, le droit de propriété et le principe de libre circulation.
La Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 28 février 2019 (156), a longuement examiné s’il existait bien un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et a rejeté les moyens invoqués compte tenu de la mise en place « progressive » de la zone de basses émissions, « couplée à des périodes transitoires et de tolérance, afin de permettre aux conducteurs des véhicules touchés par la mesure attaquée de remplacer leur véhicule ou de réaliser la transition vers des possibilités de mobilité alternatives », à des « dérogations » et des « mesures d’accompagnement » (157).
Selon la Cour, « Il ressort de ce qui précède que le législateur ordonnantiel permet au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale de prendre des mesures visant à alléger l’impact socio-économique de la zone de basses émissions vis-à-vis de personnes qui n’ont pas la capacité financière d’acquérir immédiatement un nouveau véhicule répondant aux normes d’émission fixées par le Gouvernement ou qui, pour d’autres raisons, sont particulièrement vulnérables sur le plan de la mobilité. Il existe donc un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (158).
Cet arrêt illustre la difficulté, pour la Région de Bruxelles-Capitale d’adopter des mesures contraignantes en vue d’infléchir des comportements induits par plusieurs décennies de
156 C.C., arrêt n° 37/2019 du 28 février 2019.
157 Cons. B.24.2 à B.24.5.
158 Cons. B. 24.6.
développement économique et social sans porter atteinte à des droits fondamentaux comme le droit de propriété, la libre circulation ou les principes d’égalité et de non-discrimination.
145. L’argument des parties demanderesses selon lequel la Région de Bruxelles-Capitale serait responsable au premier chef de la réduction des émissions de GES ignore les limites des prérogatives de puissance publique.
Si les parties demanderesses ne reviennent pas expressément sur l’argument, développé en premières conclusions, selon lequel les autorités publiques « disposent du monopole de la contrainte, et du pouvoir d’édicter les normes qui, précisément, doivent imposer des comportements aux citoyens et aux entreprises, ou inciter ceux-ci à adopter certains comportements ou à en abandonner d’autres » (159), celui-ci demeure induit par leur raisonnement.
Or, l’exercice d’un monopole de contrainte, ou l’imposition de normes aux citoyens par voie législative et réglementaire, sont strictement encadrés par un corps de droits fondamentaux dont il découle un nécessaire équilibre essentiel à la stabilité de la société dans son ensemble.
Il est loin d’être acquis que la condamnation de la Région de Bruxelles-Capitale aboutisse à renforcer cet équilibre déjà fragile. Il y a même lieu de se demander dans quelle mesure une telle condamnation n’aurait pas pour effet inverse de diviser encore davantage les citoyens et de rendre encore plus sensible l’exercice par les défenderesses de leur monopole de contrainte et leur pouvoir d’édicter des normes.
146. Un autre exemple peut être tiré de la problématique des émissions de GES par le secteur du bâtiment. Comme exposé ci-avant, compte tenu de la part relative des émissions de GES du secteur du bâtiment en Région de Bruxelles-Capitale, leur réduction constitue une condition sine qua non de l’atteinte des objectifs que s’est fixés le Gouvernement. Pour autant, compte tenu des coûts qu’une telle stratégie induit pour les particuliers, l’efficacité des mesures mises en place dépend de leur capacité à être effectivement mises en œuvre.
Cette préoccupation est traduite par la stratégie de réduction de l’impact environnemental du bâti existant aux horizons 2030-2050 qui a été adoptée en avril 2019. Cette stratégie contient 34 fiches-actions et fixe un objectif de consommation de 100kWh/m²/an en énergie primaire en moyenne pour les bâtiments résidentiels à l’horizon 2050, soit un niveau moyen de performance équivalent à un PEB C+ pour l’ensemble du parc (dossier, pièce 4). Cette stratégie fait partie intégrante du volet bruxellois du PNEC évoqué plus haut.
De manière pratique, sur la base des recommandations du certificat PEB devenu obligatoire, les propriétaires de logements devront réaliser au minimum tous les cinq ans une des interventions préconisées. Isolation de la toiture, des murs, des sols, remplacement des fenêtres ou encore du système de chauffage, équipement du bâtiment de capacités de production d’énergie renouvelables… Autant de mesures qui pourront être réalisées pour permettre à
159 Conclusions principales des parties demanderesses, point 348..
chacun de prendre part à la transition énergétique. A chaque balise temporelle fixée par la législation, les propriétaires devront justifier de la bonne exécution des travaux.
Objectif | Travaux |
2025 | Réalisation du certificat PEB de l’habitation |
2000 | Xxxxxxxx xour une des 5 mesures obligatoires au choix |
2000 | Xxxxxxxx xour la deuxième des 5 mesures obligatoires au choix |
2000 | Xxxxxxxx xour la troisième des 5 mesures obligatoires au choix |
2000 | Xxxxxxxx xour la quatrième des 5 mesures obligatoires au choix |
2000 | Xxxxxxxx xour la cinquième des 5 mesures obligatoires |
Le niveau de performance minimum à atteindre en 2050 sera fixé en fonction de la typologie du bâtiment, l’objectif étant de réaliser pleinement le potentiel d’économie du bâtiment au plus tard en 2050.
Pour le secteur tertiaire enfin, la stratégie de rénovation bruxelloise prévoit la mise en place d’un système équivalent à celui du secteur résidentiel avec un objectif plus stricte. L’objectif est de faire tendre le secteur tertiaire vers des bâtiments neutres en énergie d’ici 2050.
Des aides financières et un dispositif d’information et d’accompagnement seront renforcés afin de soutenir chaque Bruxellois qui le souhaite dans ses démarches.
Cet exemple illustre la nécessaire gradation des mesures imposées par la Région de Bruxelles- Capitale, afin de les rendre atteignables et compatibles avec la réalité.
147. Les parties demanderesses prennent le parti d’ignorer ces aspects de la problématique qu’elles soulèvent devant Votre Tribunal.
Partant, à défaut de démontrer in concreto quelles mesures devraient ou auraient dû être adoptées par la Région de Bruxelles-Capitale conformément au critère de l’« autorité publique normalement diligente et compétente », les parties demanderesses manquent à établir l’existence d’une faute dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale.
Par conséquent, les demandes des parties demanderesses, en ce qu’elles se basent sur la violation à l’obligation de diligence, doivent être déclarées non fondées.
148. Quoiqu’il en soit, la Région de Bruxelles-Capitale n’a pas violé son obligation générale de prudence et de diligence. Comme exposé ci-dessous, elle a pris et continue à prendre toutes les mesures nécessaires afin de réduire les émissions de GES provenant de son territoire. Elle s’est
donc comportée comme toute personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.
B. LE DOMMAGE
149. La Région de Bruxelles-Capitale n’entend pas contester les dommages qui découlent des changements climatiques. En revanche, elle conteste l’existence de fondements juridiques, en droit belge, pour justifier sa condamnation à réparer, le cas échéant préventivement, ces dommages.
150. En vertu de la jurisprudence et de la doctrine, le dommage réparable doit être certain (160). Celui-ci ne doit pas nécessairement être actuel, mais son existence doit être établie. Le juge est tenu de l’évaluer au moment où il statue. Un préjudice hypothétique ne donne pas lieu à indemnisation (161).
Les parties demanderesses admettent que le dommage réparable doit être certain mais soutiennent toutefois qu’en l’espèce cette discussion est « dérisoire [puisque] lorsque le dommage sera réalisé, le monde sera entré dans une ère de chaos où aucune action en responsabilité n’aura le moindre sens » (162). Ainsi, selon les parties demanderesses, la conception du dommage dans le cadre de la responsabilité civile qui a toujours été retenue par la jurisprudence et la doctrine en droit belge devrait être écartée eu égard aux circonstances de l’espèce.
Les parties demanderesses soutiennent que le dommage consiste en des atteintes à leur vie, à leur santé, à leur domicile, à leurs biens et à leurs conditions de vie qui constituent des atteintes à leurs droits fondamentaux. Selon les parties demanderesses, les rapports du GIEC établissent à suffisance de droit le dommage de chacun des demandeurs dans la présente cause. Selon elles, les dommages décrits par le GIEC concerneraient tous les habitants de la planète et les concerneraient dès lors chacun individuellement, à des degrés divers en fonction des caractéristiques individuelles de chacun.
151. Or, d’une part, les conséquences des changements climatiques sur les individus sont, comme justement rappelé par les parties demanderesses, multiples. D’autre part, il n’est pas contesté qu’une diminution (même totale) des émissions de GES à partir du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, que cette dernière entend bien poursuivre comme exposé par ailleurs, n’aura aucun effet significatif sur ces conséquences, compte tenu de leur part réduite dans les émissions globales.
Par conséquent, les mesures à adopter par la Région de Bruxelles-Capitale pour la protection de la vie des résidents bruxellois contre les conséquences du changement climatique ne
160 Cass. (2e ch.), 15 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2336.
161 X. XXXXXXX, op. cit., pp. 236-237.
162 Conclusions principales des parties demanderesses, point 408.
sauraient être limitées stricto sensu à la seule réduction des émissions de GES à partir de son territoire, mais nécessitent l’adoption d’un ensemble de mesures dans des domaines aussi variés que le transport, la santé, la gestion de l’eau, la protection de la biodiversité, etc. Autrement formulé, les demandes des parties demanderesses sont insuffisantes pour permettre la réparation des dommages et garantir la protection des droits qu’elles invoquent, compte tenu de la situation qu’elles dénoncent. Au contraire, cette protection implique l’adoption d’un ensemble cohérent et équilibré de mesures effectives que ne sollicitent pas les parties demanderesses.
152. Les risques de dommages avancés par les parties demanderesses reposent sur plusieurs rapports scientifiques que la Région de Bruxelles-Capitale n’entend pas contester. Ils n’en demeurent pas moins des risques de dommages futurs, dont les effets concrets dans le chef des demandeurs ne sauraient être définis avec certitude et précision pour donner lieu à une condamnation sur pied des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, il est constant que « toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation » (163) et que le dommage susceptible d’engager la responsabilité d’un Etat doit consister en une « menace réelle et immédiate » que des mesures
« raisonnables » auraient pu prévenir.
153. En outre, les parties demanderesses invoquent que les dommages annoncés seraient suffisamment certains et déterminables au sens de la jurisprudence classique. Elles défendent que l’inaction de la Région de Bruxelles-Capitale serait une des causes majeures de la concrétisation des dommages futurs du réchauffement climatique.
En vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, c’est à celui qui se prétend lésé qu’il revient de rapporter la preuve, par toutes voies de droit, de la faute, du dommage (164).
Or, les parties demanderesses n’apportent aucune preuve que chacune d’elles subirait un dommage certain ou, à tout le moins, déterminable. Elles se basent simplement sur les rapports du GIEC qui décrivent les effets du changement climatique sur la planète entière. En outre, les parties demanderesses invoquent des dommages futurs et non certains en leur chef, tels qu’en autres des vagues de chaleur, l’augmentation des maladies vectorielles ou les troubles allergiques.
154. Enfin, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, un dommage ne peut se déduire de la seule existence d’une faute (165).
Or, les parties demanderesses soutiennent que leur dommage est constitué des conséquences de la faute de la Région de Bruxelles-Capitale de ne pas respecter ses engagements de prendre les mesures nécessaires pour réduire les émissions de GES à partir de son territoire (166). Elles
163 Cour eur. D.H., arrêt Mastromatteo c. Italie, 24 octobre 2002.
164 Cass., 16 décembre 2004, J.L.M.B., 2006, p. 1168.
165 Cass. (1er ch.), 10 mai 2001, Pas., 2001, I, p .807 ; Cass., 4 février 1994, Pas., 1994, I, p. 149.
166 Conclusions principales des parties demanderesses, p. 229.
déduisent dès lors leur dommage de la simple existence d’une faute dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale.
C. LE LIEN CAUSAL
155. Le rapport de cause à effet est un élément constitutif essentiel de la responsabilité civile. Même s’il y a faute et dommage, il n’y a pas d’obligation de réparer si, entre les deux, il n’y a pas de relation causale (167).
La faute doit avoir été la condition sine qua non de la réalisation du dommage (168). Le juge doit constater que sans la faute, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est produit. En effet, la jurisprudence belge reste attachée à la théorie de l’équivalence des conditions, en vertu de laquelle le lien de causalité entre une faute et un dommage est établi dès l’instant où le juge constate que, sans cette faute, le dommage tel qu’il s’est présenté in concreto ne se serait pas produit (169). Le lien de causalité existe lorsqu’il est établi que le dommage, tel qu’il s’est produit, ne se serait pas réalisé si la faute n’avait pas été commise (170).
156. Les parties demanderesses admettent dans leurs conclusions principales que la Belgique n’est pas le principal émetteur de GES au monde et que la Belgique n’est donc pas le seul, ni même le principal, responsable de la situation. Elles soutiennent, toutefois, que puisque chaque pays peut avoir un impact sur sa quote-part d’émissions et ainsi réduire ou ralentir le réchauffement climatique, chaque pays a donc une part de responsabilité dans la causalité du réchauffement global et dans ses conséquences (« Ce sont donc tous les pays qui sont conjointement responsables » (171)).
Cet argument se fonde sur l’idée erronée que les émissions de GES relèvent de la seule volonté des Etats, auxquels il appartiendrait de prendre les mesures contraignantes propres à réduire ces émissions à un niveau permettant d’éviter toute perturbation dangereuse du système climatique. Or, comme exposé précédemment, les prérogatives des autorités publiques sont exercées, en Belgique, dans un cadre juridique garantissant par ailleurs un certain nombre de droits fondamentaux (droit de propriété, libre circulation, principes d’égalité et de non-discrimination, etc.) qui font peser sur les citoyens, entreprises et autres personnes de droit privé ou public des obligations propres.
Ce raisonnement tient de l’absurde puisqu’il conduirait à ce que tout citoyen, peu importe son domicile, puisse attaquer chaque Etat, mais également toute personne responsable de l’émission de GES, pour sa part de responsabilité dans les émissions de GES.
167 J.-X. XXXXXXX, « La causalité », in : Responsabilités – Traité théorique et pratique. Titre I – Livre 11, Xxxxxx, 2008, p. 13.
168 Cass. (1er ch.), 5 juin 2008, J.T., 2009, p. 28 ; Cass., 12 janvier 2007, Entr. et dr., 2007, liv. 2, p. 172.
169 Voir notamment : Cass., 18 juin 1973, Pas., 1973, I, p. 968 ; Cass., 24 mars 2005, Pas., 2005, I, p. 703 ; Cass., 29 octobre 2008, Pas., 2008, I, p. 2389.
170 Voir notamment Cass., 15 mai 1990, Pas., 1990, I, p. 1054.
171 Conclusion de synthèse des parties demanderesses, point 473.
157. Il est en effet malaisé de démontrer un lien causal entre une action ou une abstention d’un Etat en matière climatique et des conséquences déterminées sur la situation ou les droits d’un requérant déterminé (172). En effet, les questions de responsabilité liées au réchauffement climatique se caractérisent par un lien causal particulièrement distendu entre la faute et le dommage (173). Pour que la responsabilité puisse être activée, il faut un lien causal entre une faute déterminée et un dommage déterminé (174).
En matière climatique, il faudrait démontrer :
− que la négligence de la Région de Bruxelles-Capitale a contribué à l’aggravation du dérèglement climatique ;
− que l’événement climatique qui a provoqué le dommage est une conséquence d e cette aggravation ;
− que le dommage a été effectivement causé par cet événement (175).
Or, les parties demanderesses ne démontrent pas de lien de causalité entre une quelconque faute de la Région de Bruxelles-Capitale et leurs potentiels dommages futurs. Elles citent à tort les rapports du GIEC, du PNUE et des articles de la revue scientifique Lancet, aucun de ceux-ci n’établissant formellement le lien entre le réchauffement climatique et les émissions de GES en provenance du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.
158. En vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, c’est à celui qui se prétend lésé qu’il revient de rapporter la preuve, par toutes voies de droit du lien de causalité reliant la faute et le dommage (176). En l’espèce, les parties demanderesses ne rapportent aucune preuve concrète qu’il existe un lien de causalité entre leur dommage allégué – inondation, maladies infectieuses, vague de chaleur – et la faute alléguée dans le chef de la Région de Bruxelles-Capitale – l’omission de prendre des mesures adéquates pour réduire les émissions de GES depuis son territoire.
En outre, les parties demanderesses ne démontrent pas que la faute qu’elles soutiennent est la condition sine qua non de la réalisation de leur dommage. Elles ne démontrent pas non plus que sans cette faute qu’elles allèguent, leur dommage se serait produit tel qu’il s’est produit, ou va se produire. Ainsi, les parties demanderesses ne démontrent pas que si la Région de Bruxelles- Capitale avait pris telles ou telles mesures, il n’y aurait pas de vagues de forte chaleur, d’augmentation des maladies vectorielles, d’inondations ou encore de troubles allergiques. Elles n’établissent par conséquent aucun lien causal entre la faute et le dommage allégué.
Selon la doctrine, la condition d’individualisation du dommage demeure un obstacle important à la mise en cause de la responsabilité civile des Etats pour leur inaction face au dérèglement
172 D. XXXXXXX, X. XXXXXXXX ET C. NENNEN, Responsabilité (civile) de l’Etat et climat, Rapport du séminaire académique #2, 28 mai 2018, p. 15.
173 Idem, p. 8.
174 Idem.
175 Idem, p. 16.
176 Cass., 16 décembre 2004, J.L.M.B., 2006, p. 1168.
climatique (177). En l’espèce, les parties demanderesses ne démontrent pas leur dommage individuel qui serait lié à une prétendue inaction ou insuffisance d’action de la Région de Bruxelles-Capitale face au réchauffement climatique.
159. Par conséquent, sauf à ne pas faire application de la théorie de l’équivalence des conditions telle que consacrée par la Cour de cassation, il apparaît que la responsabilité civile fondée sur les articles 1382 et 1383 ne constitue pas, en droit belge, un fondement juridique adéquat pour faire droit aux demandes des parties demanderesses (178).
177 Idem, p. 15.
178 En ce sens, voir la décision du tribunal administratif d’Essen (Allemagne) dans l’arrêt Peruvian mountain guide Xxxx Xxxxxxx Xxxxxx c. RWE du 15 décembre 2016 dans laquelle le tribunal a considéré que les émissions historiques de l’entrepris e RWE, considéré comme le plus grand émetteur historique de GES d’Europe, ne présentaient pas un lien de causalité suffisant avec le dommage du plaignant (les risques d’effondrement d’un lac glaciaire), dont le lien avec le réchauffement climatique n’était toutefois pas remis en question.
7.4 SECOND MOYEN : VIOLATION DES ARTICLES 2 ET 8 DE LA CEDH ET DES ARTICLES 6 ET 24 DE LA CIDE
A. REMARQUES PRÉALABLES
160. Dans un second moyen, les parties demanderesses invoquent la violation par la Région de Bruxelles-Capitale de trois droits fondamentaux, à savoir :
− le droit à la vie (article 2 CEDH) ;
− le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 CEDH) ; et
− le droit à la vie et la santé des enfants (articles 2 et 8 CEDH et articles 6 et 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant, ci-après « CIDE »).
Par rapport à leurs conclusions principales du 28 juin 2019, les parties demanderesses n’invoquent plus la violation des articles 2 et 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
161. De plus, contrairement à leurs conclusions principales du 28 juin 2019, les parties demanderesses isolent leur second moyen (méconnaissance des droits fondamentaux) de leur premier moyen relatif à la mise en cause de la responsabilité de droit commun de la Région de Bruxelles-Capitale.
Selon les parties demanderesses, il ne s’agirait donc plus de démontrer que la Région de Bruxelles-Capitale a commis une faute (au sens civil du terme) en méconnaissant des droits fondamentaux, mais que la Région de Bruxelles-Capitale aurait, indépendamment du régime de la responsabilité civile, commis une violation de droits fondamentaux susceptible de justifier sa condamnation par Votre Tribunal.
162. Au vu de la situation et du comportement de la Région de Bruxelles-Capitale, les parties demanderesses ne peuvent pas raisonnablement être suivies. En effet, comme démontré ci- après, il ne pourrait pas être reproché à la Région de Bruxelles-Capitale, compte tenu des mesures raisonnables et appropriées qu’elle a adoptées et qu’elle projette d’adopter pour réduire les émissions de GES à partir de son territoire, d’avoir commis une quelconque violation de droits fondamentaux.
Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses ne répondent pas à cet argument, déjà soulevé par la Région de Bruxelles-Capitale dans ses conclusions additionnelles du 1er octobre 2019.
163. Enfin, comme exposé ci-dessus (point 6.2, B, i, « Injonctions au pouvoir législatif »), la seule violation des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 6 et 24 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant ne saurait conduire Votre Tribunal à faire droit aux injonctions visées aux points 4, 5, 6 et 7 de leur dispositif, ainsi qu’à
celles formulées « en tout état de cause », dès lors que ces demandes ont pour objet (aux dires des parties demanderesses elles-mêmes) la réparation en nature d’un dommage.
Le rattachement aux articles 1382 et 1383 du Code civil, qui nécessite la démonstration d’un lien de causalité entre la faute et le dommage (ou à tout autre régime de responsabilité ad hoc), doit dès lors être invoqué et démontré, quod non en l’espèce.
B. DISPOSITIONS INVOQUÉES
164. Les dispositions invoquées par les parties demanderesses à l’appui de leur moyen se lisent comme suit :
Article 2 de la CEDH :
« Droit à la vie
1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
Article 8 de la CEDH :
« Droit au respect de la vie privée et familiale
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 6 de la CIDE :
« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.
2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l'enfant. »
Article 24 de la CIDE :
« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s'efforcent de garantir qu'aucun enfant ne soit privé du droit d'avoir accès à ces services.
2. Les États parties s'efforcent d'assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :
a) réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;
b) assurer à tous les enfants l'assistance médicale et les soins de santé nécessaires, l'accent étant mis sur le développement des soins de santé primaires ;
c) lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre des soins de santé primaires, grâce notamment à l'utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d'aliments nutritifs et d'eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel ;
d) assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;
e) faire en sorte que tous les groupes de la société, en particulier les parents et les enfants, reçoivent une information sur la santé et la nutrition de l'enfant, les avantages de l'allaitement au sein, l'hygiène et la salubrité de l'environnement et la prévention des accidents, et bénéficient d'une aide leur permettant de mettre à profit cette information ;
f) développer les soins de santé préventifs, les conseils aux parents et l'éducation et les services en matière de planification familiale.
3. Les États parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d'abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants.
4. Les États parties s'engagent à favoriser et à encourager la coopération internationale en vue d'assurer progressivement la pleine réalisation du droit reconnu dans le présent article. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. »
C. OBLIGATIONS POSITIVES ET EFFET DIRECT
165. Effet direct – notion – D’une manière générale, l’effet direct peut être défini comme « une qualité de la règle de droit international consistant à créer des droits et des obligations pour les particuliers, l’adverbe "directement" renvoyant à l’absence de mesures internes d’exécution de ladite règle » (179). L’effet direct emporte la possibilité pour des particuliers de pouvoir directement se prévaloir en justice de dispositions internationales leur conférant des droits subjectifs (180), soit à l’égard d’un Etat (« effet direct vertical ») soit à l’ égard d’un particulier (« effet direct horizontal »).
166. Obligations positives et négatives – L’effet direct d’une disposition de droit international est étroitement lié à la nature des obligations, positives ou négatives, que cette disposition impose aux Etats signataires :
− les obligations positives peuvent être définies comme celles qui exigent des autorités nationales qu’elles adoptent « des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu » (181). Dans ce cas, la passivité de l’Etat mène à la violation de la Convention ;
− à l’inverse, les obligations négatives imposent aux autorités nationales de s’abstenir de poser certains actes.
À ce titre, « L’idée selon laquelle les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme imposent des obligations positives (…), en sus d’obligations négatives, est unanimement admise » (182).
179 F. AUVRAY, op. cit., p. 23; définition fondée sur X. XXXXXXX, « L’effet direct est-il une condition de la primauté du droit international sur le droit belge?”, R.B.D.I., 2012/2, p. 462 et reprise de la jurisprudence de l Cour de justice internationale.
180 X. XXXXXX, « Précision et droits de l’homme dans l’ordre juridique belge : focus sur la notion polysémique d’effet direct »,
Rev. d. h., 2015, p. 3.
181 Cour eur. D.H., arrêt Xxxxx-Xxxxx, 9 décembre 1994 ; arrêt Hokkanen c. Finlande, 24 août 1994; X. XXXXXXXX, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les obligations positives en matière environnementale peut-elle s’appliquer aux changements climatiques? », in Changements climatiques et défis du droit – Actes de la journée d’études du 24 mars 2009, X. XXXXXXX et X. XXXXXX-XXXXXXXXXX, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 257.
182 X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis sur l’applicabilité directe de la Convention européenne des droits de l’homme », in Le droit international et européen des droits de l’homme devant le juge national, S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 209 et références citées : X. XX XXXXXXXX, Fonction de juger et droits fondamentaux : transformation du contrôle juridictionnel dans les ordres juridiques américain et européens, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 310 et s. ; X. XXXXXX ET
X. XXXXXX, « Les obligations positives déduites du droit international des droits de l’homme, dans quelles limites ? », Les droits de l’homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, X. XXXXXXXXXX et al. (dir.), Bruxelles, Bruylant, Publications des Facultés universitaires Saint- Louis, 2007, pp. 45 à 73 ; X. XXXXXXX, « The Evolution of Positive Obligations under the European Convention on Human Rights – by the European Court of Human Rights », La Convention européenne des droits de l’homme, un instrument vivant. Mélanges en l’honneur de Xxxxxxxx X. Xxxxxxx, X. XXXXXXXXX, X. XXXXXX et X. XXXXXXXX, (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 207 à 218 ; X. XXXXXX, « Positieve verplichtingen onder het EVRM : opkomst en ondergang van de fair balance- test », N.C.J.M. Bulletin, 1995, n° 20, deel I et deel II, pp. 558 et s. ; X. XXXXX, « Les ˝obligations positives˝ dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme », R.T.D.H., 1995, pp. 363 à 384 ; D. XXXXXXXXX, « Obligations positives et effet horizontal des dispositions de la Convention », L’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme, Brxxxxxxx, Xxxxxxxx, 0000, pp. 133 et s.
L’article 8 de la CEDH illustre bien cette distinction (183) : le premier paragraphe s’analyse en effet comme une obligation positive, le second comme source d’obligations négatives (ne s’ingérer aux conditions de l’article 8 que de manière proportionnée) et positives (prendre des mesures assurant l’équilibre des intérêts en présence et donc la protection des droits de l’individu) (184).
167. Nature des obligations et effet direct – Il est traditionnellement admis que l’obligation négative est dotée d’effet direct (l’idée étant que l’abstention ou l’interdiction imposée par la norme considérée et l’obligation de résultat qui en découle ne laissent aucune marge d’appréciation à l’Etat) tandis que l’obligation positive est dépourvue d’effet direct (les possibilités de faire respecter une disposition positive étant généralement multiples et laissées à la discrétion des Etats qui sont, dans ce contexte, tenus par une obligation de moyen) (185).
En droit belge, ce principe est consacré par l’arrêt Thonon de la Cour de cassation du 21 avril 1983 :
« La notion d’applicabilité directe d’un traité envers les nationaux de l’Etat qui l’a conclu implique que l’obligation assumée par cet Etat soit exprimée d’une manière complète et précise et que les parties contractantes aient eu l’intention de donner au traité l’objet de conférer des droits subjectifs ou d’imposer des obligations aux individus » (186).
Dans un arrêt du 6 mars 1986, la Cour de cassation a rappelé que, pour pouvoir être considérée comme étant directement applicable, la norme d’un traité international (en l’espèce, l’article 8 de la Convention) doit être suffisamment précise et complète :
« Attendu que cette disposition, en tant qu’elle interdit en principe à l’Etat de s’immiscer dans la vie privée et familiale des individus, énonce une norme qui, en règle, est suffisamment précise et complète pour produire des effets directs ;
Attendu que, toutefois, en tant qu’elle oblige l’Etat dans la fixation du régime des liens de famille, tels ceux des droits successoraux des enfants naturels sur les biens de leur mère décédée, à agir de manière à permettre aux intéressés de mener une vie de famille normale, cette disposition n’est pas suffisamment précise et complète pour avoir des effets directs ; qu’en effet, en cette matière, diverses possibilités s’offrent au choix de l’Etat pour réaliser cet impératif, que dans cette mesure ledit article 8, § 1er, n’impose à l’Etat qu’une obligation de faire dont le législateur assume la responsabilité mais qui ne saurait
183 Cette distinction n’est toutefois pas exempte de critiques, en raison notamment de sa réversibilité : une même obligation peut parfois être indifféremment définie positivement ou négativement. Toutefois, il demeure possible, dans la plupart des cas, déterminer si l’effectivité d’un droit fondamental requiert une intervention de la part de l’État ou postule, au contraire, son abstention ; voy. S. XXX XXXXXXXXXXXXXX, op. cit., p. 213.
184 X. XXXXXXX, « Le droit fondamental à la protection de l’environnement dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », Amén., 2008, n° spécial, p. 28 ; Cour eur. D.H., arrêt Xxxxxx Xxxxx x. Espagne, 16 novembre 2004.
185 Idem ; X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit., p. 214.
186 Cass., 21 avril 1983, R.C.J.B., 1985, p. 26, nous soulignons.
être invoquée comme source de droits subjectifs et d’obligations pour des particuliers » (187).
Il se déduit de cette jurisprudence, non démentie, que « l’invocabilité en justice d’un droit fondamental est subordonnée à son effet direct, étant entendu qu’est directement applicable la disposition dont la précision est suffisante pour conférer un droit subjectif à ses destinataires, en l’absence de toute mesure interne d’exécution » (188).
168. Distinction contentieux subjectif et objectif – Dans leurs conclusions de synthèse, les parties demanderesses ne répondent pas aux arguments de la Région de Bruxelles-Capitale sur ce point et se contentent de déclarations de principe selon lesquelles l’absence d’effet direct reconnu aux dispositions qu’ils invoquent « irait à l’encontre du principe de l’interprétation effective des dispositions de la CEDH » (189).
Ainsi, selon les parties demanderesses, denier un effet direct aux droits fondamentaux invoqués,
« au motif que les Etats disposent d’une certaine latitude dans le choix des mesures destinées à garantir ces droits », priverait de toute effectivité les droits fondamentaux invoqués et « irait à l’encontre même de l’objectif de la CEDH » (190).
Cette affirmation ignore les effets reconnus à une norme internationale dans le contexte d’un contentieux objectif porté contre une norme de droit interne devant la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’Etat, devant lesquels une norme internationale peut être invoquée sans égard pour son effet direct (191) :
« Compétente pour apprécier si une norme législative viole les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour doit, lorsqu’elle est interrogée sur une violation de ces dispositions combinées avec une convention internationale, non pas examiner si celle-ci a effet direct dans l’ordre interne, mais apprécier si le législateur n’a pas méconnu de manière discriminatoire les engagements internationaux de la Belgique » (192).
Ces droits fondamentaux pourraient être directement invoqués devant la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’Etat pour critiquer mesure déterminée et précise à l’encontre de Région de Bruxelles-Capitale.
Or, même à transposer (quod non) cette invocabilité « générale » des droits fondamentaux propre au contentieux objectif au contentieux subjectif dont ont à connaître les cours et tribunaux, les parties demanderesses s’abstiennent de démontrer que les mesures prises par la Région de Bruxelles-Capitale violeraient, d’une façon ou d’une autre, les droits fondamentaux invoqués. Les parties demanderesses se contentent de soutenir que ces mesures ne seraient pas
187 Cass., 6 mars 1986, Pas., I, p. 853, nous soulignons.
188 X. XXXXXX, « Précisions et droits de l’homme… », op. cit., p. 3. 189 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 509. 190 Idem.
191 X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit.
192 C. const., arrêt n° 106/2003 du 22 juillet 2003, B.4.2.
« adéquates, nécessaires et suffisantes » pour réduire les émissions de GES, sans toutefois remettre en cause de manière ciblée les mesures prises par la Région de Bruxelles-Capitale et décrites dans ses conclusions.
169. A cet égard et comme il le sera démontré plus longuement ci-après, tous les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme invoqués par les parties demanderesses s’inscrivent dans le contexte de mesures précises et déterminées adoptées par l’Etat concerné. Autrement dit, la jurisprudence invoquée ne sanctionne jamais l’absence de mesures par un Etat pour la protection de la société dans son ensemble.
D. APPROCHE « CONTEXTUALISÉE » DE L’EFFET DIRECT
170. Les parties demanderesses reviennent sur l’effet direct des dispositions des instruments internationaux de protection des droits fondamentaux et soutiennent que ce critère relèverait d’une « théorie ancienne (…), dite "traditionnelle" », qui devrait « être nuancée à la lumière de développements jurisprudentiels et doctrinaux ultérieurs » (193).
Pour reconnaitre un effet direct aux dispositions de droit international invoquées, les parties demanderesses évoquent une approche « contextualisée » de l’application de ces dispositions. Cette approche devrait ainsi être préférée à celle, binaire, de l’effet direct (194) et, à suivre les parties demanderesses, conduirait inévitablement Votre Tribunal à conclure au fondement de leurs demandes. Les parties demanderesses ne développent toutefois pas le raisonnement fondé sur cette approche contextualisée au contexte spécifique de la Région de Bruxelles-Capitale.
171. Approche « contextualisée » – notion – L’approche « contextualisée » invoquée par les parties demanderesses repose sur un courant doctrinal qui ne saurait toutefois être résumé en un simple paragraphe, comme le font les parties demanderesses au point 508 de leurs conclusions de synthèse (195), et sa seule évocation ne permet pas d’aboutir de plein droit à la condamnation de la Région de Bruxelles-Capitale.
Ce courant doctrinal est décrit comme « minoritaire » par les auteurs cités par les parties demanderesses (196). Ces auteurs soulèvent de nombreuses questions non résolues et n’envisagent cette approche (s’agissant de F. AUVRAY) que dans le contexte de l’invocation de la violation de normes internationales comme faute au sens de l’article 1382 du Code civil, ce que les parties demanderesses ont expressément exclu (197).
193 Conclusions de synthèse des parties demanderesses, point 507.
194 Ainsi, globalement, une norme a ou n’a pas un effet direct.
195 Voy. not. X. XX XXXXXXXX, Fonction de juger et droit fondamentaux. Transformation du contrôle juridictionnel dans les ordres juridiques européen et américain, Bruxelles, Bruylant, 1999 ; X. XXXXX et X. XXXXXXXX, « L’effet direct des traités internationaux. Une analyse en droit positif et en théorie du droit axée sur les droits de l’homme », R.B.D.I., 2001, p. 411 et s. ;
X. XXXXXX, op. cit.
196 X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit.., p. 214.
197 F. AUVRAY, op. cit., J.T., 2019, p. 28.
172. Cette approche « contextualisée » exclut de dénier de manière « mécanique » un effet direct aux obligations positives, le caractère directement applicable de telles obligations devant être apprécié au cas par cas.
Elle est traduite par certains auteurs en quatre « directives » ou « déclinaisons » qui permettraient de déterminer la force contraignante des droits fondamentaux invoqués et, par conséquent, la marge de manœuvre dont dispose le juge « pour déterminer la liberté politique que la disposition d’un traité laisse aux pouvoirs publics » (198).
La première déclinaison imposerait de rechercher dans la disposition en cause, indépendamment de son libellé, les obligations essentielles qui s’imposent aux pouvoirs publics et auxquelles il y aurait lieu de reconnaître, de ce fait, un effet direct. « Cette obligation minimale pose également une première limite à la liberté politique des pouvoirs publics » (199).
Cette première déclinaison de l’approche contextualisée, généralement non remise en cause,
« constitue davantage un amendement qu’une remise en cause de la portée traditionnellement conférée au critère objectif » attaché à l’effet direct (précision, clarté et complétude de la norme invoquée) (200).
La deuxième déclinaison imposerait « de rechercher dans quelle mesure la disposition du traité international se rattache aux règles de droit interne qui sont liées au contexte du litige dans lequel la disposition est invoquée » (201). Autrement dit, « le juge doit insérer la norme internationale au sein de ces "structures d’accueil" présentées par l’ordre juridique dont il relève » (202). A suivre cette directive, les droits de l’homme ne pourraient ainsi générer des devoirs concrets pour les pouvoirs publics que dans la mesure où l’ordre juridique interne permet cette concrétisation (203). A défaut, le juge octroierait une place trop importante à une disposition en matière de droits de l’homme (204) et sortirait de manière inconsidérée du rôle que lui assigne la séparation des pouvoirs (205).
La troisième déclinaison trouverait à s’appliquer lorsque plusieurs droits fondamentaux sont simultanément mobilisés, « dans le cas où le respect d’un droit correspond à la violation d’un autre droit » (206) et, singulièrement, du principe d’égalité : « la violation de l’égalité de traitement signifie que le régime juridique qui s’applique au groupe favorisé doit être étendu aux membres du groupe défavorisé ; l’imprécision avec laquelle se trouvent formulés les droits à propos desquels la règle de l’égalité s’impose est dès lors compensée par l’existence d’un
198 X. XXXXX et X. XXXXXXXX, op. cit., p. 44 ; X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit., p. 215-217.
199 X. XXXXX et X. XXXXXXXX, op. cit. p. 44.
200 X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit., p. 215.
201 X. XXXXX et X. XXXXXXXX, op. cit., p. 45.
202 X. XXXXXX, « L’influence du juge belge sur l’effectivité de la Convention: retour doctrinal et jurisprudentiel sur le concept d’effet direct », in V. XXXXXXX, X. XXXXXX et X. XXXXXX (éd.), Entre ombres et lumières: cinquante ans d’application de la Convention européenne des droits de l’homme en Xxxxxxxx, Xxxxxxxxx, Xxxxxxxx, 0000, pp. 88-143., p. 117.
203 Cass., 21 octobre 1993, commenté par X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit., en constitue une forme d’application ; X. XXXXX et X. XXXXXXXX, op. cit., p. 45.
204 X. XXXXX et X. XXXXXXXX, op. cit., p. 45.
205 X. XXXXXX, « Précision et droits de l’homme… » op. cit., p. 5.
206 X. XXXXXX, op. cit., p. 117.
régime – celui dont bénéficient les membres du groupe favorisé – dont il suffit au juge de réaliser l’extension afin de donner effet aux droits en cause. Ce faisant, il ne se substitue pas aux pouvoirs qui, au sein de l’État, ont pour mission d’édicter des normes d’applicabilité générale » (207).
Pour autant, cette troisième déclinaison de l’approche contextuelle comporte le risque d’amener le juge à empiéter de manière excessive sur le pouvoir d’appréciation du législateur, qui dispose toujours de la possibilité de prévoir un régime différencié non discriminatoire (208). Dans ce cadre, « la seule question à se poser dans le cadre d’un contentieux subjectif est celle de savoir si, une fois la norme interne écartée et compte tenu de la portée conférée au droit considéré, le juge peut fonder son dispositif par référence à ce droit, sans attendre l’intervention du législateur » (209).
Enfin, la quatrième déclinaison imposerait de « ne pas faire dépendre de considérations politiques de nature collective le poids moral relatif de la disposition du traité international ni la force contraignante finale » (210) et permettrait au juge de se reposer sur un « droit commun »
« c’est-à-dire d’un régime juridique qui est applicable à défaut de dispositions expresses réglant la matière en cause » et d’écarter les règles nationales qui feraient obstacle à ce que l’Etat respecte les obligations internationales qui pèsent sur lui (211).
Ici encore, il est permis de douter de l’existence d’un « droit commun » qui permettrait, en toute hypothèse et sans jamais porter d’atteinte excessive au principe de la séparation des pouvoirs, d’appliquer directement une norme internationale (212).
173. Approche « contextualisée » – critique – Par ailleurs, dans son ensemble, cette approche
« contextualisée » fait l’objet de critiques.
Ainsi, comme le souligne la doctrine, « le juge entre donc dans une certaine mesure en concurrence avec le législateur parce que les dispositions directement applicables ont priorité sur les lois internes. Il n’est pas impensable que des opinions personnelles puissent ici avoir une certaine influence. Le juge acquiert donc un rôle pour lequel on peut se demander s’il est suffisamment compétent et s’il dispose pour cela d’une légitimité démocratique suffisante, ce qui met en jeu à la fois le principe démocratique et le principe de la séparation des pouvoirs.
L’activisme du juge et le danger de partialité de celui-ci constituent non seulement un danger pour le principe démocratique et le principe de la séparation des pouvoirs. La figure de l’effet direct est elle-même en danger. L’effet direct manque en effet son objectif de protection juridique lorsque, du fait de la possibilité de l’arbitraire du juge, l’individu ne sait pas avec
207 X. XX XXXXXXXX, obs. sous Xxxx., 14 avril 1983, Droit international des droits de l’homme devant le juge national, X. XX XXXXXXXX ET S. XXX XXXXXXXXXXXXXX (dir.), Bruxelles, Larcier, 1999, p. 188 et 189.
208 X. XXXXXX, La jurisprudence belge après l’arrêt Xxxxxx, note sous Xxxx., 3 octobre 1983, R.C.J.B., 1984, spéc. pp. 630 et 631, n° 23.
209 X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit., p. 217-218.
210 X. XXXXX et X. XXXXXXXX, op. cit., p. 45.
211 X. XX XXXXXXXX, Fonction de juger…, op. cit., pp. 151-164.
212 X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit., p. 218.
certitude quels engagements internationaux lui offrent une protection juridique plus élevée. La sécurité juridique est en effet une composante essentielle de cette protection juridique. Les juges nationaux peuvent également avoir des raisons de limiter la protection juridique de l’individu par la négation de l’effet direct. Tant qu’il ne sera pas clair quels arguments répondent à cette limitation de la protection juridique et tant qu’il n’y aura pas d’équilibre accompagné du souci de renforcer la position juridique individuelle, l’individu sera dans une certaine mesure livré aux choix politiques souvent implicites, imprévisibles et souverains du juge » (213).
174. Cela étant, l’approche « contextualisée » ne contredit pas l’approche « traditionnelle » fondée sur l’existence d’un effet direct, puisque les droits de l’homme ont toujours fait l’objet, dans la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, d’une application dans un contexte bien particulier, propre au litige, et lié à une mesure ou une action prise (ou omise) par un pouvoir public. Suivant le dictionnaire Larousse, le contexte constitue bien « l’ensemble des circonstances dans lesquelles se produit un événement, se situe une action ».
Le recours à la conception « contextualisée » des droits de l’homme trouve donc, en pratique, déjà écho dans la jurisprudence de le Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, comme développé ci-après.
175. Approche « contextualisée » – application – Or, les prétentions des parties demanderesses semblent, au contraire, faire abstraction de tout le contexte de l’action menée par la Région de Bruxelles-Capitale pour réduire les émissions de GES à partir de son territoire. Dans leurs citation et conclusions, les parties demanderesses n’adressent aucune critique spécifique à l’encontre des mesures effectivement adoptées par la Région de Bruxelles-Capitale et n’identifient pas davantage (fût-ce de manière générale) les mesures qu’il aurait convenu, selon elles, d’adopter pour atteindre les objectifs qu’elles postulent.
Il n’est pas contestable que la Région de Bruxelles-Capitale agit dans la lutte contre le changement climatique selon ses responsabilités et capacités spécifiques (voy. ci-dessus le point 5 « Évolution des émissions de GES en Région de Bruxelles-Capitale » et le point 7.5 ci- dessous « En tout état de cause : la Région de Bruxelles-Capitale a adopté les mesures appropriées »). Remises dans leur contexte, ces actions ne pourraient conduire à une condamnation de la Région de Bruxelles-Capitale sur pied des dispositions invoquées.
La prise en compte du « contexte » particulier d’une opération, singulièrement dans le cadre des mesures prises par un pouvoir public, est ainsi à la base de la jurisprudence de la Cour de cassation dans le domaine des droits de l’homme ou de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est également le contexte particulier de l’inaction climatique des Pays-Bas qui a conduit à la condamnation confirmée par le Hoge Raad néerlandais dans son arrêt du 20 décembre 2019.
213 X. XXXXX et X. XXXXXXXX, op. cit., p. 12.
E. JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION
176. La réponse classiquement apportée en la matière par la Cour de cassation, et rappelée dans l’arrêt précité du 6 mars 1986 (214), consiste à affirmer, comme en écho à l’effet direct des obligations négatives, que pour pouvoir être considérée comme étant directement applicable, la norme d’un traité international doit, d’une part, « être suffisamment précise et complète »,
« sans offrir à l'Etat plusieurs possibilités pour atteindre le but requis » et, d’autre part, qu’elle soit de nature « à constituer une source de droits subjectifs et d'obligations dans le chef de particuliers » (215).
Le contrôle que la Cour de cassation exerce sur la décision du juge du fond porte sur le point de savoir si ce juge a, d’une part, reconnu à bon droit un effet direct à la disposition de droit international ou supranational en cause et, d’autre part, considéré à bon droit également que la norme interne litigieuse était incompatible (ou compatible) avec cette disposition (216).
Cette jurisprudence a été confirmée à de nombreuses reprises (217), en ce compris en ce qui concerne la Convention relative aux droits de l’enfant (218) et jusqu’à récemment, dans l’arrêt précité du 9 février 2017, par lequel la Cour de cassation a précisé que l’existence d’une faute dans le chef de l’Etat nécessite la violation d’une norme de droit international avec effet direct (219), ce qui atteste du maintien de ce critère, en droit belge, dans l’appréciation d’une demande fondée sur la violation d’une telle disposition.
177. En outre, lorsque la Cour de cassation a eu à connaître de l’application de droits fondamentaux issus de la CEDH, le contexte était toujours bien particulier et concernait des obligations négatives.
Dans un arrêt du 5 février 1985, un effet direct « implicite » de l’article 2 de la CEDH a été reconnu par la Cour de cassation (220). Il ne s’agissait toutefois pas d’une reconnaissance implicite générale et erga omnes, mais bien d’une affaire très contextualisée et relative à une mesure très précise, dans un pourvoi dirigé contre un arrêt condamnant un médecin ayant pratiqué une interruption volontaire de grossesse. La Cour de cassation, se fondant sur une interprétation restrictive de l’article 2 précité, a rejeté le pourvoi. Les autres arrêts relatifs au droit à la vie s’inscrivent dans le contexte de l’avortement ou de la peine de mort (221).
214 Commenté par X. XXXXXX, « VI.4. – Morceaux choisis… », op. cit.
215 Cour de cassation de Belgique – Rapport annuel 2006, pp. 228-229.
216 H. XXXXXXXXX, X. XXXXXX, J-F. XXX XXXXXXXXXXXXXX, « Section 3 – Contrôle par la Cour de cassation de l’interprétation et de l’application des normes juridiques », in Pourvoi en cassation en matière civile, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 281 ; voy.
p. ex., Cass., 2 juin 2003, 9 novembre 2004 et 16 novembre 2004, R.C.J.B., 2007, pp. 211 et s., et note X. XXXXXX et X. XXX XXXXXXXXX, « Traité international et Constitution nationale ».
217 Cass., 15 mai 2001, Pas., 2001, n° 284, avec les conclusions de l’Avocat général X. XXXXXXXXXXX ; Cass., 17 janvier 2002,
Pas., 2002, n° 36 ; voir aussi : Cass., 4 novembre 1999, Bull., 1999, n° 59 ; Cass., 11 mai 2001, Pas., 2001, n° 273 ; Cass., 25
septembre 2003, Pas., 2003, n° 454.
218 Cass., 4 novembre 1993, Pas., 1993, n° 445.
219 Cass., arrêt du 9 février 2017 ; F. AUVRAY, op. cit., J.T., 2019, p. 25 ; Cour de cassation de Belgique - Rapport annuel 2017, p. 42.
220 Cass., 25 février 1985, Pas., 1985, I. p. 670.
221 Cass., arrêt du 22 décembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1402 ; Cass., arrêt du 20 décembre 1989, Pas., 1990, I, p. 499 ; Cass.,
arrêt du 19 janvier 1994, Pas., 1994, I, p. 71.
178. En ce qui concerne l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès son arrêt du 21 septembre 1959 (222), la Cour de cassation en a fait également, de manière systématique, application « contextualisée » : « Si l'autorité publique dispose d'une certaine marge d'appréciation en cas d'ingérence dans les droits consacrés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, la question de la marge d'appréciation ne peut être résolue qu'à la lumière du contexte de l'affaire examinée » (…) « En s'abstenant de procéder à une approche casuistique du préjudice et des nuisances effectivement subies par les demandeurs dans le cadre spécifique de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l’arrêt n'a pu procéder, utilement et en connaissance de cause, à l'analyse du juste équilibre des intérêts en présence, exigée par l'article précité » (223).
Enfin, selon la Cour, « en tant qu’il édicte des obligations positives, [cet article] n’est pas suffisamment précis et complet pour constituer une source de droits subjectifs pour les individus et, par conséquent, les effets directs de cette disposition se limitent aux obligations négatives qu’elle édicte » (224).
F. JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
179. Les parties demanderesses font aussi référence à de nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme pour tenter de justifier leurs prétentions. Une fois encore, les 25 arrêts invoqués ont été pris dans le contexte particulier et bien précis d’une mesure prise par un pouvoir public – ou l’omission faite par ces pouvoirs publics dans une situation particulière en lien avec une mesure déterminée :
- l’arrêt Fabris c. France du 7 février 2013 concernait un enfant adultérin qui alléguait avoir subi, dans le cadre de la succession de sa mère, une discrimination fondée sur la naissance dans le cadre de l’adoption par la France de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 qui accordait aux enfants adultérins des droits successoraux identiques aux enfants légitimes ;
- l’arrêt L.C.B. c. Royaume uni du 9 juin 1998 concernait les essais atmosphériques d’armes nucléaires réalisés par le Royaume-Uni entre 1952 et 1967 et auxquels participèrent plus de 20.000 militaires ;
- l’arrêt Xxxxxxx Xxxxxxx et autres c. Espagne du 28 novembre 2006 concernaient des coulées de boues et de pierres qui a dévasté un camping espagnol dont l’installation avait fait l’objet d’une autorisation administrative avait été délivrée par les pouvoirs publics malgré des rapports d’expertise négatifs ;
222 Pas., 1960, I., p. 98.
223 Cass., 4 décembre 2008.
224 C.-H. BORN ET X. XXXXXXX, « Le droit à la protection d’un environnement sain », in Les droits constitutionnels en Belgique, Bruxelles, Bruylant, p. 1443.
- l’arrêt Xxxxxxxxx et autres x. Xxxxxx du 20 mars 2008 concernait les mesures de protection effectivement mises en place par les autorités locales (dans le Caucase central) contre des coulées de boues : construction d’un collecteur à filtre de rétention des boues, digues de protection, etc. ;
- l’arrêt Özel et autres c. Turquie du 17 novembre 2015 concernait une décision adoptée par une autorité locale portant à une hauteur autorisée de six étages des permis de construire qui avaient été accordés à des promoteurs immobiliers, alors même que la région concernée était soumise à des hauts risques sismiques ;
- l’arrêt Oneryildiz c. Turquie du 30 novembre 2004 (et non 2011 comme mentionné par les parties demanderesses) concernait l’exploitation (et le réaménagement) d’une décharge par la mairie métropolitaine d’Istanbul en dépit des contestations des autorités locales, et une explosion de méthane mortelle liée à cette exploitation ;
- l’arrêt Xxxxx x. Royaume-Uni du 28 octobre 1998 concernait, comme le relève les parties demanderesses, la mise en cause des autorités dans le cadre d’un meurtre ;
- l’arrêt Taskin et autres c. Turquie du 10 novembre 2004 concernait l’octroi d’autorisations d’exploiter une mine d’or près d’Izmir ;
- l’arrêt Smaltini c. Italie du 24 mars 2015 concernait l’impact des émissions sur la santé et l’environnement d’une société active dans la production et la transformation de l’acier (le plus grand complexe industriel pour le traitement de l’acier en Europe) ;
- l’arrêt Xx Xxxxx et autres c. Italie du 10 janvier 2012 concernait l’adoption d’un plan d’élimination des déchets en Campanie, prévoyant notamment la construction de cinq incinérateurs ainsi que de cinq décharges principales et de six décharges secondaires ;
- l’arrêt Xxxxxxxx et autres c. Italie du 24 janvier 2019 concernait les émissions produites par une usine du secteur sidérurgique suite au rassemblement de toute la production de la zone à chaud dans cette usine ;
- l’arrêt Okyay c. Turquie du 12 juillet 2005 concernait l’inexécution par les autorités nationales des décisions des juridictions internes ordonnant la fermeture de trois centrales thermiques causant une pollution environnementale dans le département de Mugla (sud-ouest de la Turquie) ;
- l’arrêt Xxxxxxx et Xxxxxxxx Xxxxxxxxx c. Roumanie du 26 juillet 2011 concernait l’attaque d’une personne âgée par une meute de 7 chiens errants en face de son habitation dans un quartier résidentiel de Bucarest et l’invocation par la victime de la responsabilité d’un district de Bucarest alors même que la loi imposait à ces districts d’organiser la capture et l’élimination de tels chiens ;
- l’arrêt Deés c. Hongrie du 9 novembre 2010 concernait l’introduction d’un péage routier impliquant un report de trafic de camions sur une route alternative secondaire sur laquelle habitait le plaignant ;
- l’arrêt Lopez Ostra c. Espagne du 9 décembre 1994 concernait une station d’épuration d’eaux et de déchets construite à 12 mètres du domicile de la plaignante, sur des terrains appartenant à la commune et avec une subvention de l’Etat ;
- l’arrêt Guerra et autres c. Italie du 19 février 1998 concernait une usine chimique Seveso qui avait libéré, au cours de son cycle de production, de grandes quantités de produit toxique, sans que la commune concernée n’ait été mise au courant alors même que le préfet concerné l’était et avait l’obligation d’informer la population concernée ;
- l’arrêt Giacomelli c. Italie du 2 novembre 2006 concernait l’autorisation d’exploiter pendant 5 ans une usine de traitement des déchets (notamment dangereux), accordée par la région de Lombardie ;
- l’arrêt Xxxxxx et autres c. Royaume-Uni du 8 juillet 2003 concernait les nuisances sonores liées aux activités aériennes de l’aéroport d’Heathrow et les restrictions applicables aux vols de nuit par les autorités compétentes ;
- l’arrêt Xxxxxxxx x. Xxxxxx du 9 juin 2005 concernait un centre sidérurgique de première importance autour duquel les concentrations de substances toxiques dans l'air étaient de nombreuses fois supérieures aux normes acceptables et autour duquel le taux de mortalité des résidents étaient plus élevées que la moyenne ;
- l’arrêt Dubetska et autres c. Ukraine du 10 février 2011 concernait l’exploitation d’une mine de charbon dont les opérations étaient notoirement nocives pour l’environnement (sur la base de rapport des autorités) sans que rien ne soit mis en place par les autorités ;
- l’arrêt Tatar c. Roumanie du 27 janvier 2009 concernait l’exploitation de minerai d’or et d’étangs de décantation suite à un accident écologique, alors même que cette exploitation avait été autorisée notamment compte tenu des retombées économiques pour l’Etat roumain ;
- l’arrêt Branduse c. Roumanie du 7 avril 2009 concernait le fonctionnement d’une décharge à ordures et les mesures des autorités à cet égard compte tenu de sa proximité avec un établissement pénitentiaire ;
- l’arrêt asbl Erablière c. Belgique du 24 février 2009 concernait un permis d’urbanisme tendant à l’extension d’un xxxxxx x’xxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxx ;
- x’xxxxx Xxxxxx x. Xxxxxx du 15 décembre 2011 concernait une plainte pour agressions sexuelles d’une personne lourdement handicapée et placée au sein d’un foyer d’accueil médicalisé et son traitement par le droit pénal français ;
- l’arrêt Xxxxxxxxxx et autres x. Xxxxxx du 28 février 2012 concernait des habitants d’une région soumise aux moussons, dont le domicile était situé à proximité immédiate d’un réservoir d’eau potable dont l’eau était rejeté dans une rivière en période de fortes pluies pour éviter des dommages structurels au réservoir – mais qui entrainait donc des épisodes fréquents d’inondation.
Aucune des décisions invoquées par les parties demanderesses ne fait abstraction du contexte dans lequel s’inscrit l’action des pouvoirs publics. Plus encore, tous ces arrêts visent des mesures particulières prises par les pouvoirs publics dans le cadre d’une activité déterminée, que ce soit, par exemple, la gestion d’une décharge ou d’une mine autorisée.
À l’inverse, aucun des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme invoqués par les parties demanderesses ne tend à condamner un Etat (i) en raison d’une action jugée insuffisante pour protéger l’environnement ou l’une de ses composantes en général et (ii) sans avoir égard aux mesures prises par cet Etat dans le contexte donné.
180. Par ailleurs, la Cour ne conclut à la violation de l’article 8 de la CEDH que dans les cas où la situation soumise à son appréciation est, d’une manière ou d’une autre, illégale indépendamment de la violation de l’article 8 (225), comme énoncé dans l’affaire Xxxxxx :
« La Cour relève d'emblée que dans les affaires antérieures où des problèmes environnementaux l'ont amenée à conclure à des violations de la Convention, ses constats se fondaient sur l'inobservation par les autorités nationales de certains aspects de la réglementation interne. Ainsi, dans l'affaire Xxxxx Xxxxx, la station d'épuration en cause, qui avait finalement été fermée, était illégale en ce qu'elle fonctionnait sans le permis requis (Xxxxx Xxxxx précité, pp. 46-47, §§ 16-22). Dans l'affaire Guerra et autres, la violation découlait pareillement d'un manquement au droit interne, l'Etat n'ayant pas communiqué aux requérants les informations qu'il était légalement tenu de leur fournir (Guerra et autres précité, p. 219, §§ 25-27) » (226).
Enfin, la jurisprudence constante de la Cour considère que « S’agissant de domaines tels que celui de l’urbanisme et de l’environnement, qui constituent par excellence des domaines d’intervention de l’Etat, la Cour respecte l’appréciation portée à cet égard par le législateur national, sauf si elle est manifestement dépourvue de base raisonnable » (227).
G. AFFAIRE URGENDA ET ARRÊT DU HOGE RAAD NÉERLANDAIS DU 20 DÉCEMBRE 2019
181. À l’instar des arrêts de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, l’affaire Urgenda aux Pays-Bas s’inscrit également dans le contexte particulier de l’insuffisance d’action des Pays-Bas dans la lutte contre le changement climatique.
Les jugements et arrêts prononcés dans cette affaire sont détaillés en ce qui concerne le contexte dans lequel les juges néerlandais saisis ont reconnu une violation de l’obligation de diligence de l’Etat néerlandais, fondée sur les articles 2 et 8 de la CEDH. En dernier ressort, dans son arrêt du 20 décembre 2019, le Hoge Raad néerlandais a souligné qu’ « il s’agit dans ce dossier d’une situation exceptionnelle » (point 8.3.4).
225 X. XXXXXXX, op. cit., p. 27.
226 Cour eur. D.H., arrêt Hatton, 8 juillet 2003, point 120.
227 Cour eur. D.H., arrêt Xxxxxxxx et Nima-Kapsali, 29 septembre 2004,.
En effet, en préambule des décisions prises dans cette affaire, la politique climatique de l’Etat néerlandais a été longuement décrite par les juges néerlandais. Ainsi, selon le Hoge Raad :
- « Les émissions de CO2 par habitant aux Pays-Bas sont relativement élevées par rapport aux autres pays industrialisés. En termes d'émissions, les Pays-Bas étaient classés 34e sur 208 pays au moment de l'arrêt de la Cour. Sur les 33 pays qui ont des émissions plus élevées, seuls 9 ont des émissions par habitant plus élevées, dont aucun État membre de l'UE. Sur le total des émissions de gaz à effet de serre des Pays-Bas,
85 % sont constituées de CO2. Les émissions de CO2 aux Pays-Bas n'ont pratiquement pas diminué depuis 1990 et ont même augmenté ces dernières années (jusqu'à l’arrêt de la Cour). Au cours de la période 2008-2012, les Pays-Bas ont réalisé une réduction des émissions en équivalent CO2 de 6,4 %. Cette réduction est due aux gaz à effet de serre autres que le CO2. Dans les 15 plus grands États membres de l'UE, une réduction des émissions de 11,8 % a été réalisée au cours de la même période et dans l'ensemble de l'UE, une réduction de 19,2 %. En outre, 30 à 50 % de la réduction entre 2008 et 2012 aux Pays-Bas était liée à la crise économique. Sans cette crise, les émissions auraient été nettement plus élevées (et la réduction moins importante) pendant cette période » (point 30 des faits).
Selon les rapports officiels, les Pays-Bas n’ont en effet pratiquement pas diminué leurs émissions de CO2 depuis 1990 (variation autour de 0 %).
Les émissions de CO2 en Belgique ont diminué de près de 20% depuis 1990. Au cours de la période 2008-2012, cette réduction était d’environ 16% alors que, pour reprendre les termes de la Hoge Raad, « dans les 15 plus grands États membres de l'UE, une réduction des émissions de 11,8% a été réalisée au cours de la même période ».
Par ailleurs, pour la Région de Bruxelles-Capitale, les émissions de CO2 ont diminué de près de 18% depuis 1990. Au cours de la période 2008-2012, cette réduction était d’environ 12%.
- « Au contraire, par rapport à des États membres comme l'Allemagne, le Royaume- Uni, le Danemark, la Suède et la France, l'effort de réduction des Pays-Bas est loin d'être suffisant » (point 2.3.2) ;
Pour rappel, les Pays-Bas n’ont en effet pratiquement pas diminué leurs émissions de CO2 depuis 1990 (variation autour de 0 %).
Par comparaison et suivant les pays cités par le Hoge Raad, une réduction d’environ 25% a été observée en Allemagne, 36% au Royaume-Uni, 35% au Danemark, 27% en Suède et 14% en France (dossier, pièce 10).
A cet égard, et sous réserve de la pertinence de telles comparaisons telle que questionnée ci-dessus (point 5.5), la Belgique et la Région de Bruxelles-Capitale font mieux que la France, pourtant prise en exemple par le Hoge Raad néerlandais.