Et tout (ça), nanana, et caetera…
Et tout (ça), nanana, et caetera…
Conditions théoriques et méthodologiques pour l'observation des restituteurs d'ensemble par inférence
Xxxxxxxxxx Xxxxxx
Université Sorbonne nouvelle xxxxxxxxxx.xxxxxx@xxxxxxxx-xxxxxxxx.xx xxxxx://xxxxx.xxx/0000-0000-0000-0000
Reçu le 13/10/2019, accepté le 4/3/2020, publié le 5/11/2020 selon les termes de la licence
Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
Résumé : Dans cette contribution, on cherche à illustrer une approche de l'analyse de la langue qui pose la nécessité de recourir aux informations caractérisant une situation de communication pour comprendre le fonctionnement des unités linguistiques. Il s'agit ici de montrer en quoi les données relevant de ce que la tradition saussurienne rangerait du côté de la 'linguistique externe' peuvent éclairer, voire être indispensables, pour décrire le fonctionnement de certaines unités, parmi les- quelles ce que je nomme les restituteurs d'ensemble par inférence (REPI) comme et tout (ça), na- nana, et caetera… Compte tenu de cette perspective, il s'agit d'interroger la nature des données mises à disposition, leur accessibilité, dans les corpus OFROM et MPF. Autrement dit, on se de- mande dans quelle mesure les cadres théoriques et méthodologiques qui articulent la constitution de ces deux corpus s'accordent avec une approche de la langue qui place les locuteurs en interac- tion à l'initiale de l'analyse.
Abstract: In this paper, I illustrate an approach to linguistic analysis that uses information about the communicative situation to understand the functioning of linguistic units. The aim is to show how data that would be classified as language-external in the Saussurian tradition can aid in or even be indispensable to the functional analysis of certain units. This is particularly true, as I ar - gue, for what I call restituteurs d'ensemble par inference (REPI) like et tout (ça), nanana, and et caetera… Specifically, this paper investigates to what extent the theoretical and methodological frameworks underlying the design of the OFROM and MPF corpora agree with an approach to language that places speakers in interaction at the initial stage of the analysis.
1 Introduction
[1] Cette contribution s'intéresse à une série d'unités, telles que et tout (ça), nanana, et caetera, fréquemment observables dans les discours ordinaires. Si cette série n'est pas homogène sur le plan de la nature de ses unités, sa pertinence tient au fait que lesdites unités semblent avoir des caractéristiques fonctionnelles com- munes au niveau du discours en interaction. Xxxxxxx, il est intéressant de s'interro- ger sur les conditions de production des discours porteurs de ces unités en consi- dérant qu'il pourrait y avoir un lien entre les situations dans lesquelles émergent les interactions et leur présence/absence.
[2] D'emblée, si, à l'instar de l'item le plus 'standard' de la série, et caetera, il est question d'un renvoi à des éléments implicitement suggérés, alors on peut convenir que les situations de communication dans lesquelles ils sont particulière- ment nombreux sont le fruit d'une combinaison de paramètres qui permet aux in- teractants un partage suffisant d'informations pour l'interprétation des énoncés. De fait, la considération des unités traitées ici devrait intégrer la caractérisation des si- tuations de communication. Cette prise en compte du contexte de production (l'usage) dans l'analyse des données me conduit à interroger la façon dont les cor- pus donnent accès aux métadonnées : dispose-t-on de métadonnées suffisantes pour tenter de mettre en lumière le degré de connivence des interactants ?
[3] Je vise ainsi une analyse d'éléments de la langue, en tenant compte de ce qui relève de la mise en parole. Dans un premier temps, il s'agit de montrer que cette entreprise permet d'éviter la multiplication des points de vue en se situant à un niveau qui les prendrait tous en charge. C'est ainsi que j'aboutis à la proposition du terme général restituteurs d'ensemble par inférences (REPI), en lieu et place d'autres, chacun motivé par un aspect de la fonction des unités :
As yet there is no generally accepted term for referring to expressions of this kind. They have been variously referred to in the literature as set marking tags (Dines 1980), vague category identifiers (Channell 1994), approximators (Erman 2001), general extenders (Xxxxxxxxxx 1999), discourse extenders (Norrby and Winter 2002), extension particles (Xxxxxx 1992) and more. (Cheshire 2007 : 156).
[4] Dans un second temps, après avoir présenté les fondements de l'ap- proche théorique sur laquelle je m'appuie, je mets à l'épreuve les corpus OFROM (Avanzi, Béguelin & Diémoz 2016a, 2016b) et MPF (Gadet 2017a) afin de voir dans quelle mesure les choix méthodologiques (donc théoriques) à l'origine de leur constitution et le mode d'accès aux données, sont favorables à une telle pers- pective. Il s'agit de faire dialoguer théorie et méthodologie, partant du principe que l'une et l'autre s'alimentent mutuellement (Gadet & Guerin 2012).
2 De l'intérêt du terme REPI
[5] Depuis que l'on s'intéresse aux données orales, et surtout que l'on en a
[6] L'ensemble d'unités, a priori hétérogène, que je range sous l'étiquette
REPI s'illustre dans la série d'énoncés suivante1, extraite des corpus OFROM et MPF constituée avec le souci d'illustrer des situations de communication et des profils de locuteurs différents2 :
(1) Mais si je suis en train d'écrire un mail ou comme ça j'ai pas forcément envie qu'elle vienne lire. (OFROM, unifr11-esb)
1 Pour faciliter la lecture, les transcriptions sont reproduites avec un aménagement des conven- tions : seuls les pauses sont marquées avec (.) et les segments inintelligibles avec X. Par ailleurs, je fais le choix ici de ponctuer les énoncés simplement en les faisant débuter par une majuscule et fi- nir par un point ou point d'interrogation, le cas échéant. Les énoncés originaux, segmentés selon les conventions propres aux deux projets, peuvent être présentés ici sous une forme tronquée pour alléger le texte, avec le souci de ne pas nuire à l'interprétation des unités sur lesquelles porte l'ana- lyse. En revanche, l'orthographe est fidèle à celle de la transcription d'origine. Ainsi, il peut y avoir des différences entre les énoncés issus d'OFROM ou de MPF, notamment parce que le premier ad- met les 'trucages orthographiques' et non le second.
2 Les sites internet des deux corpus permettent, à partir des références données à la suite de chaque énoncé, d'accéder à des informations concernant les locuteurs et les situations. Dans la suite du texte, comme annoncé, ces informations seront discutées.
(2) Peut-être que j'ai trop tendance à me plaindre ou comme ça je sais pas. (OFROM, unine15-039)
(3) Sur un site comme le Machu Picchu ou comme ça y a moins beaucoup moins de monde le matin. (OFROM, unine13-haa)
(4) Je pense pas dans le centre de la Thaïlande bon aussi il y a beaucoup de prostitués et tout ça. (OFROM, unine15-931)
(5) Pis elle m'a un peu motivée aussi à lire euh des livres et tout ça. (OFROM, unine16-021)
(6) Bon après c'est parce que c'est pour l'unicef et tout ça. (OFROM, unine17- 002)
(7) C'est hyper romantique et caetera alors bon ben j'ai ri pis j'ai emmené. (OFROM, unine15-013)
(8) Parce que leur but c'est de collectionner de peindre et caetera. (OFROM, unine15-013)
(9) C'est presque une fois par mois mec t'as des gars tu sais pas sortis d'où qui arrivent qui t'apportent un petit croissant un verre de jus d'orange à ton à ta place de travail mec (.) à ton bureau tu sais t'es là eh bonjour ah c'est pour le nouvel abonnement qu'on a on fait nin nin nin X une petite action alors tous les collaborateurs ils ont droit à un jus d'orange pis un croissant. (OFROM, unifr11-maa)
(10) Ils auraient coupé les vingt dernières minutes ce ce film serait été extraordi- naire (.) pourquoi ils ont besoin à la fin de dire (.) voilà alors elle c'est la fille de parce que nin nin nin et pis il lui est arrivé ça et pis. (OFROM, unine11-jva)
(11) Ils étaient tellement méchants (.) je me suis dit est-ce que c'est à cause de ça qu'ils sont devenus méchants (.) parce que moi j'ai pas envie de devenir comme eux (.) donc euh pff (.) au final j'ai lâché l'affaire (.) et parce que en plus ça coûte cher d'être dentiste parce que il faut acheter le matériel et tout nanana. (MPF, Nacer1)
(12) Non mais des fois à la mini entreprise euh i- (.) des fois il dit des choses in- téressantes et tout mais des fois i- (.) part en cacahuète. (MPF, Wajih1)
(13) Pendant que j'étais au taf (.) au téléphone tout c'était impossible de d- de parler comme ça c'était impossible (.) tu avais que des vieux et tout (.) vas-y. (MPF, Marion2)
(14) Ta ville c'était ut- c'était une petite ville donc c'est peut-être pour ça que tu pouvais traîner sans adultes et tout ça. (MPF, Roberto3a)
(15) Une formation de six mois oui oui oui il y a une formation (.) nan c'est p- six mois oui si si six mois c'est (.) six mois c- non mais c'est vrai parce qu'en fait déjà avant l'avoir c'est une fois quand on a l'agrément parce que déjà il y aura la puéricultrice qui va passer pour voir le les lieux et caetera. (MPF, Sahar3)
(16) Elle m'avait appelée avant elle me disait oui il y en a ils parlent sur toi et
tout mais je te le dis pas euh je te dis pas qui parce que voilà quoi. (MPF, Elodie2)
(17) Et euh du coup alors à l'époque où elle était que que avec euh où elle était du côté obscur (rire) j'imagine qu'elle parlait créole et tout du coup enfin peut-être. (MPF, Emma3a)
(18) Mais ça dépend des personnes aussi si direct vous venez ouais tu es un dé- linquant nanana comme la police aussi c'est normal qu'ils se révoltent. (MPF, Anna2)
(19) Est-ce que est-ce que tu as remarqué ça mon ma génération toi tu es arrivé après mais dans notre génération on a toujours eu nos mots et caetera mais on était plus quand même très orientés verlan euh les euh les mots du roma- ni parce que on est à côté de Montreuil et caetera il y avait pas autant de va- riété que maintenant. (MPF, Sandrine1)
(20) Alors que d'autres (.) ben celles qui sont blanches de peau justement essaient de se foncer la peau (.) pour être euh bronzées et caetera et caetera (.) il y a quelque chose parfois qui est un peu perturbant. (MPF, JD3)
[7] À l'image de Cheshire (2007), citée précédemment, Béguelin & Cormin- boeuf (2017 : ¶ 1), s'intéressant en particulier à ou comme ça et machin, par- viennent au même constat de l'hétérogénéité terminologique : « ils fonctionnent comme « extenseurs », « particules d’extension » (Ferré, 2009 ; angl. « general ex- tenders », Xxxxxxxxxx, 2005), ou encore « clôtureurs » (Xxxxxx et Xxxxxxxxxxx, 2012), « prolongateurs » (Gadet, 2017) ». En s'intéressant aux travaux cités par les auteurs, on parvient à mettre en relation les termes utilisés et les approches et inté- rêts des travaux dans lesquels ils apparaissent. Autrement dit, si différents termes semblent recouvrir un même fait c'est qu'il est chaque fois question d'envisager le- dit fait avec des approches, des niveaux d'analyse et des perspectives différentes. Lorsque Xxxxxxxxxx & Xxxx (1997 : 251) abordent la question en termes de general extenders, c'est dans la perspective d'une description qui satisfait des préoccupa- tions d'ordre syntaxique : « General extenders have nonspecific reference or 'gene- ral' reference and (…) extend otherwise grammatically complete utterance ». On explique ainsi la capacité de ces unités à combler syntaxiquement un énoncé. Ce qui est suggéré avec prolongateurs va dans le même sens, à la différence que le terme ne laisse pas entendre l'absence de spécification référentielle. Cette re- marque n'est pas anodine puisque s'en tenir à une référence générale, non spéci- fique, ne permet pas de s'interroger sur les raisons qui poussent les locuteurs à uti- liser tel ou tel general extender. Or, quelle qu'en soit la conclusion, le fait que dans un énoncé tel que (11), on puisse retrouver les occurrences de deux d'entre eux à la suite devrait conduire, a minima, à se demander quel en est l'effet. De la même façon, parler de clôtureurs s'entend dans la perspective d'une description à visée systématisante, pour ne pas dire automatisante. Il s'agit d'un repérage per- mettant le balisage des discours : la présence d'un clôtureur permettrait, par
exemple, de signaler le terme d'une intention communicative.
Le dernier type d'éléments que l'on trouve dans les entassements ont la propriété de pouvoir clore un entassement, comme et caetera (…). Nous les appellerons des clô- tureurs. Ils ne peuvent occuper que la dernière couche d'un entassement. (Xxxxxx & Xxxxxxxxxxx 2012 : 1812).
[8] Dans tous les cas, les effets de l'oral sont intégrés à l'analyse par la re- prise du modèle descriptif, initié par Xxxxxxx-Xxxxxxxxxx et al. (1990), qui permet de concevoir le croisement des axes syntagmatique et paradigmatique. Partant, les general extenders, continuateurs ou clôtureurs suggèrent une liste se déroulant verticalement, à un endroit précis de l'axe horizontal, sur lequel se déploie l'énon- cé, de façon linéaire. Cette schématisation facilite la lecture et, dans une certaine mesure, la compréhension de l'organisation syntaxique. Dans (3), ou comme ça permet de se représenter une liste, amorcée par le Machu Picchu, constituée d'items référant à différents lieux touristiques, sous réserve d'une collaboration suffisante des interactants, c'est-à-dire que la connaissance d'autres sites péruviens équivalents soit partagée.
(3a) Sur un site comme le Machu Picchu y a moins beaucoup moins de monde le matin.
(3b) Sur un site comme la ville sacrée de Xxxx Xxx y a moins beaucoup moins de monde le matin.
(3c) Sur un site comme le Canyon du Colca y a moins beaucoup moins de monde le matin.
(3d) Sur un site comme …
Xxx, on suppose des référents commutables. En est-il de même dans les énoncés (2) et (17) ? La restitution d'une liste d'items commutables amorcée par ou comme ça en (2) et et tout en (17) semble moins évidente. En (2), il n'est pas exactement question d'activer une série d'actions appartenant au champ lexical de la plainte (par exemple, pleurer, gémir, sangloter…). Ou comme ça semble suggérer l'acti- vation de l'ensemble des éléments qui accompagne la plainte telle que vécue par le locuteur. On est dès lors dans un processus plus cumulatif que substitutif. De la même façon, en (17), il ne s'agit pas de la possibilité de substituer le créole à d'autres langues. Et tout suggère d'activer tous les autres traits qui caractérisent l'expression d'une identité antillaise, selon le locuteur (par exemple, écouter un certain style de musique, porter un certain style de vêtements, …).
[9] En (3) comme en (2) et (17), il est question d'une procédure inférentielle rendue possible par le partage de certaines connaissances en lien avec l'élément déclencheur explicitement mentionné. Dans tous les cas, on vise la restitution d'un ensemble d'items qui, mis en commun, dessinent un tout qui constitue finalement
le référent évoqué. On s'approche ainsi de la notion d'approximators proposée par Xxxxx (2001 : 1341) : « Through approximators the speaker gives the listener/s "a rough but sufficiently exact idea about a certain state of affairs for the general pur- pose of the conversation" ». En (3), la liste d'items commutables permet au locu- teur de ne pas activer le Machu Picchu (ou un autre des items de la liste) pour ses propriétés historiques, archéologiques ou géographiques mais pour ce qu'il a en commun avec tout autre site touristique. En (2), de la même façon, c'est la mise en commun de tous les faits, gestes et attitudes du locuteur lorsque celui-ci se plaint qui permettent de suggérer un état en particulier et non un fait, geste ou attitude. Enfin, en (17), c'est l'identité antillaise, émergeant de la mise en réseau des items récupérables à partir de l'élément déclencheur explicite (le créole), qui est visée et non un trait caractéristique en particulier. En envisageant ainsi le sens procédural de ou comme ça, et tout, …, la représentation sous forme de liste verticale d'items commutables, vraisemblablement opérante pour les besoins d'une description strictement syntaxique, est moins adaptée pour aborder, comme je le propose, la spécificité sémantique d'unités telles que celles traitées ici. En effet, les éléments du paradigme ne sont pas interchangeables mais doivent être pensés comme un ensemble à partir duquel émerge un référent conceptuel.
[10] Sans chercher à entretenir le foisonnement terminologique, je propose ainsi de parler de restituteurs d'ensemble par inférence (REPI). Il s'agit d'actuali- ser la proposition, à mon sens trop peu exploitée, de Dines (1980 : 22) qui parle de set marking tags, définis en ces termes :
In every case their function is to cue the listener to interpret the preceding element as an illustrative example of some more general case. Tags, then, operate on "parts" to relate them to "wholes". (...) The presence of a clause-terminal tag indicates that an underlying general notion has been realised by a specific example.
S'il m'apparaît nécessaire de recourir à ce terme c'est que les travaux s'appuyant sur les catégories traditionnelles, établies à partir de productions qui ne sont pas issues de situations de communication permettant une forte collaboration commu- nicationnelle, aboutissent à la reconnaissance de l'inadaptation de ces catégories. C'est, par exemple, ce qu'on comprend en substance des propos de Xxxxxx (1989 : 106) lorsqu'elle conclut son étude sur et tout ça :
Cette forme élimine donc les frontières des catégories ; elle permet de mettre sur le même plan forme nominale et forme verbale (la partie notionnelle du verbe). Elle n'est pas qu'un indice discursif proche des phatiques puisque c'est apparemment la seule forme qui nous permette de laisser ouverte et non déterminée cette place syn- taxique occupée par le verbe constructeur.
[11] Il s'agit donc, à la lumière des données accessibles aujourd'hui, d'envi- sager de nouvelles catégories, un autre niveau d'analyse où les parties du discours
ne sont pas déterminantes quant à la catégorisation. On préfère l'idée d'ensemble plutôt que liste afin de ne pas limiter à des équivalents de l'élément déclencheur les éléments implicites à restituer. Ces derniers doivent être constitutifs d'un tout accessible, de la même façon par les interactants. En (1), ou comme ça appelle la restitution de toute autre situation caractérisée par ce que je suppose partager avec tu à propos d'écrire un mail. En (4), tout ça appelle la restitution de tout ce que je suppose partager avec tu à propos de l'aspect décadent de la Thaïlande. En (13), et tout appelle la restitution de ce que je suppose partager avec tu à propos des vieux, leurs attitudes et leurs façons de penser. En (7), et caetera appelle la restitution de ce que je suppose partager avec tu à propos de ce à quoi un contexte romantique peut conduire. En (19), et caetera appelle la restitution de ce que je suppose parta- ger avec tu à propos de la culture jeune qui s'illustre notamment à travers des pra- tiques langagières. En (10), nin nin nin appelle la restitution de ce que je suppose partager avec tu à propos de l'histoire racontée par le film. Enfin, en (11), nana- nan appelle la restitution de ce que je suppose partager avec tu à propos des dé- penses impliquées dans la poursuite d'études de dentiste.
3 Quelle approche de la variation ?
[12] L'étude des REPI peut s'ancrer dans une réflexion épistémologique sur la variation linguistique. En effet, les tenants de l'approche la plus courante de la variation, l'approche variationniste, ne permettent pas de traiter efficacement de telles unités : les études quantitatives ne révèlent pas de corrélation évidente entre la présence de REPI et les critères socio-démographiques traditionnellement convoqués. Il n'y aurait pas de profils sociaux ni de situations (caractérisant celles-ci relativement à un dit degré de formalisme) favorisant particulièrement la présence de REPI. Comme le souligne Cheshire (2007 : 188) :
Other than the difference in some forms of the adjunctives, there was no social class or gender variation in the uses of the general extenders. However this does not pre- clude their being involved in a more complex type of sociolinguistic variation, if other features with similar pragmatic functions were included in the analysis. I have stressed that discourse variation differs from phonological or morphosyntactic varia- tion in that speakers are not obliged to use a given discourse form.
Cette affirmation admet, en substance, les limites de l'approche variationniste qui n'intègre pas les effets de l'interaction.
[13] Or, sans une prise en compte de ce qui se joue entre les interactants au moment de l'échange, la compréhension du fonctionnement des REPI, de la perti- nence de leur présence/absence, ne peut être que partielle, voire impossible. Ce constat n'est pas récent puisqu'il était déjà formulé par Xxxxx (1980 : 29) :
The outcome of the preceding exercise is that it is as yet pointless to undertake quan-
L'accès au next stage évoqué par Xxxxx (1980 : 29) peut, par exemple, se conce- voir dans le cadre théorique d'une approche communicationnelle de la variation (Guerin 2017) où l'on tente de décrire la variation comme l'effet de l'imbrication des facteurs d'ordre macro, au niveau social, et des facteurs d'ordre micro, au ni- veau de l'interaction. Autrement dit, appliqué à l'étude des REPI, ce cadre permet d'intégrer à l'analyse l'identité des locuteurs/scripteurs en interaction dans une si- tuation donnée tout en considérant les normes et représentations communes. Cette perspective implique une représentation horizontale et décloisonnée de la varia- tion qui ne soutient pas l'absolue pertinence d'une unique forme (le 'bon usage'). Si l'on ne nie pas le caractère socialement prestigieux de la forme standard et, par ex- tension, l'influence de sa reconnaissance sur les pratiques (ce qui explique, par exemple, les hypercorrections), l'observation des pratiques réelles montre qu'en fait, à chaque situation correspond une norme qui s'établit compte tenu de la com- binaison des paramètres qui la caractérise.
[14] On cherche donc à se demander quelles sont ces combinaisons favori- sant l'usage des REPI. En l'occurrence, étant donné le sens procédural révélé de l'observation de données telles que celles présentées ici, on peut d'ores et déjà dire que l'usage des REPI requiert et/ou entretient une connivence suffisante des inter- actants pour pouvoir s'appuyer sur des implicites. Le partage de connaissances ne doit pas se limiter à un savoir communément partagé puisque la procédure inter- prétative conduit à une opération collaborative en deux temps :
- la restitution d'items déclenchée par un élément explicite, selon un lien tel que considéré par le locuteur ;
- l'activation d'un référent, fruit de la mise en réseau des items.
En somme, l'efficacité expressive des REPI dépend de la coopération des interac- tants. On voit ainsi qu'ils font partie de ces éléments de la langue qui ne peuvent être saisis sans une prise en compte des conditions de production.
[15] Il n'est pas surprenant de remarquer que ça entre dans la composition de certains d'entre eux (et tout ça3, ou comme ça). En effet, Xxxxxx, (1988), Xxxxxx (2001) ou encore Xxxxxx (à paraître) ont montré que le sens procédural de ça im- plique une certaine collaboration des interactants, possible à la condition d'une connivence suffisante : « Ça's presence signals the cognitive manipulation (sum- marization, abstraction, inferrencing) of information already available in the
3 Xxxx Xxxxxxx (2011, 2019) ou encore Xxxxxx (1989).
context or in the hearer's world knowledge » (Xxxxxx 2001 : 56). Ça seul ou constituant d'un REPI, contrairement aux pronoms (bien que la grammaire tradi- tionnelle le range dans cette catégorie, notamment parce qu'elle l'envisage comme étant l'équivalent de cela), n'a pas pour sens d'activer un référent identifiable en cotexte ou en contexte. Il active ce que l'on peut penser, inférer, d'un référent don- né, ce qui suppose nécessairement que les interactants partagent non seulement la connaissance de ce référent mais aussi ce que l'on peut en penser, en inférer.
Ça ne peut être considéré comme une forme de reprise (anaphore) à l'identique, de cet antécédent supposé, mais bien plus comme la trace d'un accès propositionnel à sa référence (à ce dont l'antécédent « nous parle » dans un énoncé donné). Même lors- qu'il y a bien reprise, l'essentiel est que cette reprise (considérée ici comme un pro- cessus) ne traite pas son antécédent comme une « valeur », mais comme l'argument d'une ou plusieurs proposition(s) implicite(s), plus ou moins accessibles et variable- ment explicitables. (Cadiot 1988 : 174)
[16] À l'image du fonctionnement de ça, les REPI ne renvoient pas stricte- ment à l'ensemble des items restituables, constituant l'ensemble suggéré par l'élé- ment explicite déclencheur. Cet ensemble est l'argument d'une ou plusieurs propo- sition(s) implicite(s), celle(s) qui condui(sen)t à identifier un référent tel qu'envi- sagé par le locuteur. Dans (5), et tout ça appelle dans un premier temps la restitu- tion d'items déclenchée par lire des livres. En l'occurrence, on peut imaginer qu'il s'agit des actions, attitudes et comportements envisagés par le locuteur comme ca- ractéristiques d'une certaine conformité aux attendus du prestige social et notam- ment scolaire. Cette série d'items constituée en ensemble entraîne, dans un second temps, l'activation d'un référent unique, une attitude générale et non des actions, attitudes et comportements envisagés de façon dissociés.
4 Les REPI dans OFROM et MPF
[17] Cette considération du sens procédural des REPI peut (devrait ?) avoir des retombées sur la façon de constituer et de traiter des corpus de données. En ef- fet, étant donné qu'il est peu probable qu'ils apparaissent lorsque les interactants n'entretiennent pas une connivence suffisante, on cherche alors à retenir des don- nées issues d'enregistrements dans des situations dont la combinaison des para- mètres le permet. Cela implique d'être en mesure d'évaluer les situations d'interac- tion enregistrées. Cette entreprise conduit à tenter de mettre en lumière les para- mètres situationnels, ceux-ci relevant autant du niveau macro (social) que du ni- veau micro (interaction) (Xxxxx & Guerin 2019). Pour tenter d'accéder à ces para- mètres on a recours aux métadonnées, censées renseigner sur les conditions et le contexte de l'interaction et sur l'identité des interactants.
[18] Tous les corpus rendus disponibles proposent une série de métadonnées associées aux données. Cependant, tous n'en proposent pas le même degré de gra-
nularité. Le corpus OFROM donne accès à des informations sur l'identité des lo- cuteurs :
Les enquêteurs avaient pour consigne de recueillir, pour chaque locuteur enregistré, un certain nombre d'informations qui devaient permettre de trier les locuteurs selon (…) qu'ils sont francophones natifs (L1) ou non (L2), selon leur niveau socio-éduca- tif, selon qu'il s'agit d'un homme ou d'une femme. On peut également indiquer un in- tervalle temporel pour spécifier la tranche dans laquelle le locuteur est né. (Xxxxxx, Xxxxxxxx & Diémoz 2016b : 10-11)
Ces informations sont rudimentaires, pour reprendre le terme des auteurs du docu- ment de référence du projet. En fait, elles permettent de situer socialement les in- dividus, selon une représentation catégorielle, dans la tradition des études varia- tionnistes. Concernant l'identification des paramètres relatifs aux types de situa- tions d'interaction, très peu d'informations sont fournies. On sait qu'il s'agit d'en- tretiens menés par des étudiants, que, dans la plupart des cas, les locuteurs enre- gistrés se livrent à un monologue et « une plus petite partie des enregistrements ressemblent davantage à des interactions, puisqu'ils impliquent au moins deux personnes qui parlent à bâtons rompus » (Xxxxxx, Béguelin & Diémoz 2016b : 4)4. Xxxxxxx, il apparaît difficile de s'appuyer sur ces informations pour déterminer le degré de connivence des interactants (enquêteur et informateur), notamment parce que rien n'est dit quant à la relation de ces derniers, leur histoire conversation- nelle, les savoirs, connaissances et expériences partagés.
[19] Au contraire, dans le corpus MPF, c'est
la relation entre enquêteur et enquêté qui a été mise au principe du recueil. C'est pourquoi le critère essentiel retenu pour constituer le corpus a été la proximité5 des protagonistes (voir Xxxxx et Xxxxxx 2012), et l'existence entre eux d'une histoire conversationnelle. (Gadet 2017b : 16)
De fait, les métadonnées fournies par MPF renseignent au-delà des caractéris- tiques socio-démographiques et tentent de rendre compte du niveau de proximité, autrement dit de connivence, des interactants. Naturellement, ces informations peuvent être de natures différentes et difficilement systématisables. Contrairement à ce que permet OFROM, MPF ne peut pas proposer de concordancier qui per- mettrait de générer des données relativement à ce niveau de granularité des méta- données. On est, de fait, dans une approche nécessairement qualitative.
[20] En somme, si les deux corpus offrent un accès à des données illustrant un aspect de la langue française sans prétention de représentativité, cette perspec-
4 On peut être surpris de voir le mot interaction réservé à ces discussions, comme s'il n'y avait pas d'interaction lorsque l'informateur produit un monologue.
5 La notion de proximité évoquée par Xxxxx renvoie au continuum proximité - distance proposé par Xxxx & Xxxxxxxxxxxxx (2001).
tive étant en soit questionnable (Gadet & Wachs 2015), ils diffèrent, d'une part, sur le plan des situations de communication enregistrées : dans OFROM, les inter- actions tendraient, a priori, davantage vers la distance communicationnelle (Koch & Xxxxxxxxxxxxx 2001), bien qu'il y ait probablement divers degrés de distance entre les interactants, du fait du format entretien, puisque familiarité des enquê- teurs et des informateurs n'est pas une condition méthodologique ; dans MPF, la majorité des enregistrements, tendent, a priori, davantage vers la proximité com- municationnelle puisqu'il s'agit soit d'enregistrements dits écologiques, entre pairs sans intervention de l'enquêteur, soit d'entretiens dits de proximité, c'est-à-dire où enquêteurs et informateurs ont une familiarité préalable au moment de l'enregis- trement. D'autre part, les métadonnées accessibles ne sont pas du même ordre pour les deux corpus étant donné que, notamment, aucune information n'est four- nie concernant la relation enquêteurs-informateurs dans OFROM.
[21] Ces constats faits, quelle conséquence pour l'étude des REPI ? D'em- blée, compte tenu de ce qui a été vu de leur sens procédural et des opérations né- cessaires à leur interprétation, on peut être tenté de supposer qu'il y aurait davan- tage d'occurrences dans MPF. Pour tester cette hypothèse, j'ai relevé toutes les oc- currences de et tout (ça), ou comme ça, nanana / ninninnin, et caetera, dans les deux corpus6. En effet, il y a nettement plus d'occurrences de REPI dans MPF, soit une moyenne de 0,2 occurrence pour cent mots par enregistrement alors que dans OFROM, la moyenne s'élève à 0,06. On est donc tenté de confirmer l'hypo- thèse selon laquelle l'emploi des REPI est relatif à la proximité communication- nelle qui favorise la connivence des interactants. Néanmoins, si l'on corrèle le sens procédural des REPI à ce qui se joue entre les interactants au moment de l'échange, ce niveau d'approche des données n'est pas encore suffisamment précis, notamment parce qu'il masque le fait qu'il y a des enregistrements contenant peu ou pas de REPI dans MPF et, inversement, qu'il y a des enregistrements qui en contiennent un nombre significatif dans OFROM7. C'est en s'intéressant aux méta- données qu'on est en mesure de l'expliquer.
[22] Dans MPF, l'enregistrement contenant la plus forte concentration de REPI (1,1% de l'ensemble des mots) concerne une situation d'interaction caracté- risée par les paramètres suivants :
- Une conversation libre (par opposition à un entretien) ;
- L'échange se tient au domicile de l'informateur ;
- Les interactants sont de 'bons amis' et voisins ;
- La thématique abordée est en lien avec des expériences ou personnes connues des deux interactants, comme l'illustre la présence des tu vois dans
6 Au moment du relevé, OFROM comptait un million de mots et MPF 1052974 mots. Cette proxi- mité numérique n'assure qu'une certaine comparabilité au niveau de la densité des corpus.
7 On n'ignore pas le fait que la présence/absence de REPI peut être liée aux habitudes langagières des locuteurs, certains locuteurs privilégiant certains REPI ou utilisant d'autres unités verbales ou non verbales pour assurer leur fonction.
(21) C'est que apr- parce qu'après elle donc du coup le mec du coup le mec euh moi je la chope et tout tu vois donc on recommence notre petit cinéma nos petits euh affaires habituelles tu vois. (MPF, Adeline2)
La combinaison de ces paramètres favorise à l'évidence la connivence des interac- tants. Conséquemment, les productions s'élaborent en s'appuyant sur une somme conséquente d'informations implicites. Il n'est pas utile ici d'expliciter les petites affaires habituelles.
[23] Si l'on s'intéresse à l'enregistrement contenant le moins de REPI dans MPF (aucun), on peut caractériser la situation d'interaction à partir des paramètres suivants :
- Une conversation libre (par opposition à un entretien) ;
- L'échange se tient au domicile de l'informateur ;
- Les interactants sont frères et en présence de la compagne de l'un des deux ;
- La thématique abordée est celle des jeux vidéo. Plus précisément, il est question de la description technique du graphisme d'un jeu.
On voit que ce qui distingue la première situation de la seconde se situe au niveau de la thématique abordée. Outre le genre (Xxxxx & Xxxxxx 2009) du discours qui n'est pas le même, dans la seconde interaction, il est question d'introduire un élé- ment informatif nouveau, les caractéristiques techniques du graphisme du jeu. Bien que les autres paramètres de la situation favorisent la connivence, cet élé- ment pose nécessairement une certaine distance (voir Xxxx & Xxxxxxxxxxxxx, 2001). En effet, il n'est dès lors plus possible d'élaborer les productions en suppo- sant un partage de connaissances. Autrement dit, on ne peut s'appuyer sur des im- plicites sous peine de ne pas être compris. Si MPF n'offrait pas une possibilité d'accès à des métadonnées d'un tel niveau de granularité, on ne serait pas en me- sure d'expliquer la forte présence et l'absence de REPI dans deux enregistrements d'interactions dont les caractéristiques plus générales semblent similaires.
[24] Dans OFROM, l'accès aux métadonnées et leur nature permettent de caractériser la situation d'interaction concernant l'enregistrement contenant la plus forte concentration de REPI (0,37% de l'ensemble des mots) selon les éléments suivants8 :
8 Les tableaux sont ceux accessibles sur le site du projet.
[27] En se situant au-delà des seules catégorisations socio-démographiques traditionnellement convoquées et en intégrant des considérations relevant de l'in- teraction en situation, les cartes sont redistribuées et les faits de langue peuvent être observés et analysés pour ce qu'ils sont, sans référence à ce que l'on peut en dire lorsqu'ils apparaissent ou non dans un type de situation en particulier. Cette approche révise par conséquent la ligne de partage oral/écrit puisque les phéno- mènes tels que les REPI n'ont pas lieu d'être envisagés exclusivement à l'oral, dès lors que la situation permet une connivence suffisante (Xxxxxx & Xxxxxx 2016).
[28] Il s'agit ainsi d'impliquer les métadonnées dans l'analyse des données. Celles-ci devraient ainsi être pensées comme indispensables à la compréhension du fonctionnement des unités de la langue. Cela invite à mener une réflexion sur leur nature et la façon dont il serait possible de les évaluer dans une perspective davantage quantitative (Baude & Guerin 2019).
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