CENTRE D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
CENTRE D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Monsieur le Président de la République française, Xxxxxxxx Xxxxxx contre Xxxx Xxxxxxxx
Litige No. D2022-0036
1. Les parties
Le Requérant est Monsieur le Président de la République française, Xxxxxxxx Xxxxxx, France, représenté par Jacob Avocats, France.
Le Défendeur est Xxxx Xxxxxxxx, France.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <xxxxxxxx-xxxxxx.xxx> est enregistré auprès de OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Monsieur le Président de la République française, Xxxxxxxx Xxxxxx auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 5 janvier 2022. En date du 5 janvier 2022, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 6 janvier 2022, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 11 janvier 2022, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à déposer un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 13 janvier 2022. Le même jour, le Centre a reçu un courrier électronique de la part du Défendeur. Suite à une requête de la part du Requérant, la procédure UDRP a été suspendue jusqu’au 12 février 2022 pour explorer une solution à l’amiable. Les parties n’étant pas parvenues à un accord, le Centre a réintroduit la procédure le 8 mars 2022.
Le Centre a vérifié que la plainte et l’amendement répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 9 mars 2022, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.
Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 mars 2022. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse formelle. Le 31 mars 2022, le Centre a informé les parties qu’il allait procéder à la nomination de la Commission administrative.
En date du 22 avril 2022, le Centre nommait Xxxx Xxxxxx comme experte dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant, Xxxxxxxx Xxxxxx, est le Président de la République française depuis le 14 mai 2017. Après avoir été secrétaire général adjoint de la Présidence de la République en 2012, Xxxxxxxx Xxxxxx a quitté ses fonctions en juillet 2014 avant de devenir Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique d’août 2014 à août 2016. En avril 2016, Xxxxxxxx Xxxxxx fonde et prend la présidence de son propre mouvement politique, dénommé “La République en Marche”.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 3 octobre 2015. Le nom de domaine litigieux redirige vers le site web “xxx.xxxxxxxxxxx.xx”, le site web d’un adversaire politique.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
En résumé, le Requérant soutient qu’il a satisfait aux exigences du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, à savoir :
(i) le nom de domaine litigieux est identique ou similaire au point de prêter à confusion à une marque de commerce ou de service sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii) le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux; et
(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Le Requérant demande le transfert du nom de domaine litigieux.
B. Défendeur
Le Défendeur a envoyé deux communications informelles au Centre.
Le 13 janvier 2022, le Défendeur a envoyé un courriel au Centre déclarant : “Je suis prêt à régler ce litige à l’amiable”. Le même jour, le Défendeur a envoyé un second courriel indiquant que ses coordonnées semblaient ne pas être à jour.
Le Défendeur n’a pas fourni de réponse formelle aux allégations du Requérant.
6. Discussion et conclusions
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Le Requérant fait valoir des droits de marque non enregistrés sur le signe XXXXXXXX XXXXXX.
Pour établir des droits de marque non enregistrés aux fins des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que sa marque est devenue un identificateur distinctif que les consommateurs associent aux produits et/ou services du Requérant; voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”), section 1.3.
Les Principes directeurs ne prévoient pas explicitement un intérêt à agir pour les noms de personnes qui ne sont pas enregistrés ou autrement protégés en tant que marques. Toutefois, dans les situations où un nom de personne est utilisé comme identifiant de type marque dans le commerce, un requérant peut être en mesure d’établir des droits non enregistrés sur ce nom afin de pouvoir déposer une plainte sous les Principes directeurs lorsque le nom en question est utilisé dans ce sens; voir Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.5.2.
La Commission administrative observe que l’utilisation du nom “Xxxxxxxx Xxxxxx” par le Requérant ne se limite pas aux activités politiques du Requérant. Notamment, le Requérant a également publié un certain nombre de livres sous son nom, livres qui sont offerts à la vente. Compte tenu d’une telle utilisation commerciale du nom “Xxxxxxxx Xxxxxx”, la Commission administrative est d’avis que le Requérant a établi des droits de marque non enregistrés sur ce nom aux fins de l’application des Principes directeurs.
Le nom de domaine litigieux comprend la marque non enregistrée XXXXXXXX XXXXXX du Requérant, modifiée uniquement par l’ajout d’un trait d’union à la place d’un espace, un espace étant incapable d’être représenté dans un nom de domaine.
La Commission administrative estime qu’une telle infime altération n’empêche pas de conclure à l’existence d’une similarité prêtant à confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque non enregistrée du Requérant. En effet, le nom de domaine litigieux est identique à XXXXXXXX XXXXXX. La Commission administrative conclut que le Requérant a satisfait aux exigences du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
B. Droits ou intérêts légitimes
Le nom du Défendeur ne ressemble en aucun cas au nom de domaine litigieux. Il n’existe aucune autre preuve que le Défendeur est communément connu sous le nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(c)(ii) des Principes directeurs.
Comme il a été noté ci-dessus, le nom de domaine litigieux redirige vers le site web “xxx.xxxxxxxxxxx.xx”, le site web d’un adversaire politique. La Commission administrative considère que cette utilisation du nom de domaine litigieux ne correspond pas à une offre de biens ou de services de bonne foi telle qu’envisagée par le paragraphe 4(c)(i) des Principes directeurs.
Le Défendeur n’a pas présenté d’arguments pour expliquer l’enregistrement et l’utilisation de ce nom de domaine. Sans que la Commission administrative ne fasse de présuppositions à cet égard, la question pourrait se poser de savoir si l’utilisation d’un nom de domaine pour rediriger vers le site Web d’une personnalité politique d’opposition pourrait constituer une utilisation légitime non commerciale ou loyale du nom de domaine conformément au paragraphe 4(c)(iii) des Principes directeurs. Des commissions administratives ont constaté que le droit général à la critique légitime ne s’étend pas nécessairement à l’enregistrement ou à l’utilisation d’un nom de domaine identique à une marque (c’est-à-dire <marque.tld>). Même lorsqu’un tel nom de domaine est utilisé dans le cadre de la liberté d’expression, à titre non commerciale, les commissions administratives ont tendance à estimer que cela crée un risque inadmissible
de confusion par usurpation d’identité; voir Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 2.6.2. En l’espèce, le nom de domaine litigieux est essentiellement identique à la marque non enregistrée du Requérant. La Commission administrative considère donc que le nom de domaine litigieux comporte un risque inadmissible d’affiliation implicite avec le Requérant, et que la redirection des internautes vers le site web d’une personnalité politique opposée au Requérant constitue une tentative de la part du Défendeur de détourner des internautes de manière trompeuse, ce qui ne peut pas être considéré comme un usage légitime non commercial ou loyale tel qu’envisagé par le paragraphe 4(c)(iii) des Principes directeurs.
Compte tenu de ce qui précède, la Commission administrative conclut que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime à l’égard du nom de domaine litigieux et que le Requérant a satisfait aux exigences du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
La Commission administrative observe que le nom de domaine litigieux a été enregistré à la fin de l’année 2015, à un moment où le Requérant avait déjà acquis une notoriété importante en tant que personnalité publique en France. L’intention du Défendeur de cibler le Requérant peut être facilement déduite de la nature du nom de domaine litigieux, qui reproduit “Xxxxxxxx Xxxxxx” dans son intégralité, sans ajout (à l’exception d’un trait d’union), ainsi que du site Internet vers lequel le nom de domaine redirige, étant celui d’une personnalité politique d’opposition.
Comme il est précisé dans l’élément précédent, le nom de domaine litigieux étant essentiellement identique au nom et à la marque non enregistrée du Requérant, il comporte un risque élevé d’affiliation implicite avec les droits du Requérant. En conséquent, la Commission administrative en déduit que le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux pour attirer les internautes recherchant des informations en ligne sur le Requérant, et pour rediriger de manière trompeuse ces utilisateurs vers le site Internet d’un adversaire politique, perturbant ainsi les activités du Requérant. Le Défendeur ne s’est pas manifesté pour fournir une explication substantielle quant à ses motivations relatives à l’enregistrement ou à l’utilisation du nom de domaine litigieux.
Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Le Requérant a satisfait aux exigences du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux
<xxxxxxxx-xxxxxx.xxx> soit transféré au Requérant.
/Xxxx Xxxxxx/ Xxxx Xxxxxx Experte Unique Le 18 mai 2022